L'appréhension collaborative et transdisciplinaire de la complexité croissante par le biais de la méthodologie de recherche-action Imagineerint. Introduction d'une approche scientifique collaborative ancrée dans le design de systèmes complexes évolutifs

Plan de l'article

 

Auteur

220px Bachimont Bruno

BONNECARRERE Thomas

Doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication
 
CEREGE - EA 1722

20 rue Guillaume VII Le Troubadour
86 000 Poitiers
France
  

 

Citer l'article

Bonnecarrere, T. (2020). L'appréhension collaborative et transdisciplinaire de la complexité croissante par le biais de la méthodologie de recherche-action Imagineerint. Introduction d'une approche scientifique collaborative ancrée dans le design de systèmes complexes évolutifs. Revue Intelligibilité du numérique, 1|2020. [En ligne] https://doi.org/10.34745/numerev_1691

 

Matériaux associés

 

Résumé : Nous avons conçu un modèle d’organisation sociale (nommé ImagineerInt) visant à faciliter, renforcer et pérenniser la capacité de communautés locales d'intérêt (épistémiques et de pratique) à s'autodéterminer dans la complexité croissante. Ce modèle hybride les praxis intelligence stratégique, imaginierie stratégique et éducation populaire dans le but de concevoir et mettre en œuvre stratégiquement la collaboration transdisciplinaire à l'échelle territoriale et interterritoriale.
Dans un premier temps, nous présenterons brièvement le contexte nous ayant amené à concevoir ce modèle. Ensuite, nous présenterons les principaux travaux théoriques et pratiques nous ayant inspiré pour notre processus de design. Nous introduirons ensuite les concepts fondamentaux sous-jacents à ce modèle, et leurs apports souhaités aux champs de l’intelligence stratégique et scientifique. Puis, nous décrirons la première expérimentation du modèle SOLARIS (qui constitue la dimension « laboratoire cognitif » de l’ImagineerInt) en contexte professionnel, en présentant la méthodologie déployée par l’expérimentateur pour appréhender une situation problématique nécessitant une intelligence collective entre plusieurs communautés de pratique. Enfin, nous conclurons notre article en proposant des voies d’évolution pour notre modèle concernant sa diffusion et son amélioration continue dans un contexte d'effondrement écologique nécessitant une intelligence collective universelle pour être appréhendé de manière créative.

Mots-clés : intelligence stratégique, intelligence collective, éducation populaire, collaboration transdisciplinaire, science ouverte, documentation

 

Abstract : We designed a social model (ImagineerInt) aiming at fostering, enhancing and sustaining local epistemic and of practice communities capacity to self-determination in increasing complexity. This model hybridizes strategic intelligence, strategic imagineering and popular education praxis in order to create and strategically implement transdisciplinary collaboration at territorial and interterritorial scale.
First we will briefly present the context which brought us to design this model. Then we will introduce main theoretical and practical works that led to this design process. Next we will introduce the basic concepts underlying this model and their expected input into the field of strategic and scientific intelligence. Then we will outline the first experiment of the SOLARIS model (which is « the cognitive laboratory » dimension of Imagineerint) within a professional context. Therefore we will introduce the methodology implemented by the experimenter to appraise a complex situation requiring collective intelligence between different communities of practice. At last we will conclude this work by offering some evolutionary paths for our model about its diffusion and constant improvement in an ecological collapse context requiring a universal collective intelligence to be apprehended in a creative way.

Keywords : strategic intelligence, collective intelligence, popular education, knowledge management, complexity, open science, documentation

 

Introduction

Appréhender de manière collaborative et transdisciplinaire la complexité croissante de notre ère « post-normale » (Sardar, 2010) nécessite le développement et la mise en œuvre d'outils d'intelligence collective afin d'augmenter et renforcer les capacités d'auto-organisation pour l'autodétermination.

Nous avons, pour ce faire, conçu un modèle de développement social (nommé ImagineerInt) visant à faciliter matriciellement les pratiques scientifiques créatives et méthodiques afin de renforcer une « ingénierie de l'inter et de la transdisciplinarité » (basé sur Kourilsky et Tellez, 2003).

Problématique

La problématique que nous avons choisie est la suivante : Comment faciliter matriciellement le travail collaboratif scientifique transdisciplinaire afin d'appréhender efficacement la complexité croissante ?

Contexte de notre recherche-action 

La raison d'être de notre modèle

Nous avons conçu notre méthodologie de recherche - action ImagineerInt dans un contexte de complexité croissante (Morin, 1990 ; Sardar, 2010 ; Nijs, 2014), caractérisée notamment par un effondrement écologique (Servigne et Stevens, 2015). Notre travail de design méthodologique prend donc intrinsèquement en compte les problématiques de déperdition de sens[1] de nos sociétés hyperconnectées basées sur un « positivisme algorithmique » (Boullier, 2015) ainsi qu'un réductionnisme scientifique ne permettant pas d'opérer une réelle synergie transdisciplinaire. En d'autres termes, notre travail a pour but de développer une réelle intelligence collective scientifique au service de la transformation sociale dans un monde de plus en plus complexe engendré par de multiples problèmes interreliés (crise climatique, crise énergétique, crise sociale,…).

La méthodologie de recherche - action ImagineerInt que nous avons conçue tente d'introduire dans le champ social une approche originale de collaboration scientifique, ancrée dans l'épistémologie de l'invention[2] et la science ouverte citoyenne. L'objectif est, par le biais d'une approche d'éducation populaire, de faciliter la participation du grand public dans la construction d'un savoir scientifique utile à des actions sociales éclairées et émancipatrices. Cette participation repose sur la formalisation, le partage, la connexion et l’hybridation de savoirs expérientiels de vie. Cette approche culturelle vise à relier le champ social à celui de la recherche scientifique, en vue d'appréhender collectivement – à l'échelle territoriale et interterritoriale – des hyperobjets[3] complexes comme l'effondrement écologique.

Les travaux et écrits ayant inspiré le design de notre modèle SOLARIS 

Notre modèle d’intelligence collective collaborative s’ancre dans les paradigmes suivants :

  • La science ouverte citoyenne : Les sciences citoyennes (parfois appelées « sciences participatives » ou « sciences collaboratives ») sont « des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels — qu’il s’agisse d’individus ou de groupes — participent de façon active et délibérée » (Houllier, 2016). Jennie Rose Halperin (2016) définit la science citoyenne comme « l'idée puissante que les communautés devraient être habilitées à participer au processus d'investigation scientifique, enquêter sur le monde qui les entoure et créer un changement sociétal dans le processus »[4]. Ce type de pratique scientifique vise à faciliter, selon Dominique Larqué et Lionel Pestre (2013), la capacité d’« autosaisissement[5]» de communautés locales à se saisir des questions de société en vue de leur autodétermination ;
  • La recherche contributive : recherche qui vise, d'après le philosophe Bernard Stiegler (2018), à favoriser le transfert rapide du savoir académique vers les territoires. Ces  territoires sont, dans le cas de notre étude, définis par des acteurs qui œuvrent sur une base coopérative et contributive individuante et subjectivante, au service d'une transformation sociale visant à renforcer leur capacité d'autodétermination. La méthodologie spécifique sur laquelle repose le modèle SOLARIS (matrice d’élaboration, d’hybridation et de valorisation du savoir) tend à explorer de nouvelles idées créatives impulsant et alimentant sans cesse des raisonnements scientifiques concernant des objets réels ainsi que des potentialités les concernant. Ce processus s’opère via la conscientisation, la formalisation, le partage, la connexion et l'hybridation de savoirs ouverts (non refermés sur eux-mêmes via la mise en avant de zones d’incertitude à leur égard), complexes et évolutifs ;
  • Le design organisationnel autonome : Notre travail de recherche repose sur une approche de design organisationnel « autonome ». Cette approche de design découle des présomptions suivantes (Escobar, 2018, p.184):
    • Chaque travail de design doit démarrer avec la forte présupposition que les individus sont les agents de leurs propre savoir et de là, doit s’intéresser à la compréhension par les individus de leur propre réalité. Ce principe épistémologique, éthique et politique est la base de l’autonomie et d’un modèle autonome ;
    • Ce qu’une communauté appréhende, en premier lieu, c’est l’auto-investigation ou le système d’apprentissage d’elle-même. En temps que designers nous pouvons devenir des co-chercheurs d’une communauté, mais c’est cette dernière qui questionne sa propre réalité dans le processus d’encodage ;
    • Chaque processus de  design implique un relevé des problèmes et des possibilités qui permettent au designer et au groupe de trouver un accord sur les objectifs et de décider quelles voies d’actions prendre. La suite doit consister en une série de scénarios et de voies possibles pour une transformation ou une création de nouvelles pratiques ;
    • Cet exercice consiste à construire un modèle à partir du système qui a généré un problème d’intérêt commun. Étant donné ce modèle, la question à laquelle doit faire face chaque projet de design autonome est celle-ci : que pouvons nous faire à ce sujet ? La réponse dépendra de la complexité entre construction du monde et modèle réaliste. Le résultat concret est le design d’une série de tâches, de pratiques organisationnelles et de critères par lesquels sera évaluée la performance de l’investigation et de la conception.
  • Le paradigme des Communs de la connaissance (Ertzscheid et al., 2011) et des communs de capabilités (Maurel, 2017 basé sur Fontaine, 2016 basée sur Sen, 1986), de co-participation (Fraser, 2015) et de la co-création de pair-à-pair basée sur les communs (Bauwens, 2015 ; Bollier, 2007 ; 2012). Le paradigme du pair-à-pair est qualifié par Michel Bauwens comme la  « capacité des individus à créer, en tant qu'égaux, de la valeur sans être obligés de demander une autorisation à quiconque ». Ancré dans le paradigme économique des Communs (Ostrom, 1990) et de la capabilité (Sen, 1986), il met au cœur du champ social le développement, la protection et la valorisation de ressources communes (développées et gérées collectivement par des communautés en réseau de pair-à-pair) permettant l'acquisition de savoirs (vivre, faire et penser) à leur égard, en vue de renforcer la capacitation des individus et des collectifs pour s'auto-déterminer. 

Nous nous sommes inspirés, afin de créer la philosophie et la structure du modèle ImagineerInt – et notamment la création des différentes matrices constituant le modèle SOLARIS : SOLIS, SOLARIS « tronc » et SOLARIS « fruit » – sur les travaux de :

  • Bernard Besson et Jean-Claude Possin (1998 ; 2001 ) concernant leur méthodologie de diagnostic pour développer l'intelligence économique au sein d'une organisation et renforcer sa capacité d’apprentissage, d’adaptation et d’évolution ;
  • Bernard Besson et Renaud Uhl (2012) concernant les matrices permettant de faire le diagnostic des capacités d'intelligence inventive d’une organisation ;
  • Franck Lepage (2012) concernant l’élaboration d’outils pratiques pour l'éducation populaire visant à faciliter l'élaboration, le partage et l'hybridation de savoirs « chauds » (expérientiels de vie) avec du savoir « froid » (académique) pour construire du savoir commun émancipateur selon une approche de recherche - action ;
  • Louis J. Prosperi (2016 ; 2018) concernant la méthodologie de design instructionnel (comme manière de concevoir stratégiquement le transfert de connaissance) basé sur l’imaginierie (ingénierie de l’imaginaire) ; et
  • Diane Nijs (2014) concernant la méthodologie de design organisationnel « imaginierie stratégique » visant à concevoir stratégiquement l’évolution d’organisations sociales dans la complexité.

La méthodologie mobilisée pour la conception et la mise en oeuvre de notre modèle 

Les concepts fondamentaux sous-jacents à notre modèle et leurs apports espérés au processus de recherche - action ancré dans la science ouverte citoyenne

Le SOLIS  (matrice de base du modèle documentaire SOLARIS) constitue lorsque formalisé un savoir local contextualisé décrivant un « morceau » incomplet de réalité faisant dialoguer connaissance et ignorance en vue de renforcer sa nature évolutive. Les SOLIS sont conçus par design[6] pour être connectés et hybridés de manière libre afin de construire des « arbres de raisonnement »  SOLARIS. Le SOLARIS est un savoir complexe issu de l'hybridation de plusieurs SOLIS. Les SOLARIS sont de deux sortes :

  • Tronc : savoir hybride issu de l'hybridation de plusieurs SOLIS. Il impulse un arbre de raisonnement centré sur l'étude d'un objet spécifique, sur la base d'un énoncé causal spéculatif principal (formulé en « Et si… ? Alors... ») et d’axiomes clairement posés sur lesquels repose le raisonnement encodé dans ce savoir. Ce type de SOLARIS constitue le « tronc épistémique » d’un arbre de raisonnement SOLARIS. L'objectif est ainsi d'explorer, par le biais de ces arbres, de possibles corrélations entre des savoirs locaux afin, in fine, de faire peut-être émerger des causalités non initialement envisagées ou soupçonnées : en d'autres termes, de co-construire des raisonnements scientifiques créatifs et méthodiques selon une logique transdisciplinaire ancrée dans la science ouverte et la recherche contributive ; et
  • Fruit : savoir hybride issu de l'hybridation de plusieurs SOLIS, qui explore la pertinence et les implications de l’énoncé causal spéculatif principal formulé dans un SOLARIS tronc.

Le modèle SOLARIS permet d'élaborer du savoir hybride dans une perspective d'auto-émergence d'idées créatives pour la co-construction de savoir scientifique complexe. Ce modèle est basé sur le concept de « briques de construction » (type Lego) et s'inspire du concept de « logique Meccano » de la mémoire organisationnelle (comme pilier fondamental de l'intelligence économique selon Besson et Possin, 2001) dont les alvéoles d'ignorances créées stratégiquement attirent naturellement et spontanément l'information.

Figure 1. Schéma illustrant le fonctionnement du modèle documentaire SOLARIS

Notre modèle ImagineerInt est conçu spécifiquement pour les champs de la recherche scientifique, de l'ingénierie et de l'éducation populaire. Il a été expérimenté avec succès dans ces trois domaines, et est actuellement utilisé notamment par des chercheurs, ingénieurs, artistes, enseignants et thérapeutes que nous avons formés à cette méthodologie.

Le modèle SOLARIS vise à lutter contre le phénomène d’incapacitation généralisée[7], en plaçant au cœur de la dynamique d'intelligence stratégique le processus d'individuation et d'intersubjectivation[8] reposant sur le paradigme « être meilleur que soi-même grâce aux autres » (Jacquard, 1994). Ce processus nourrit la dynamique créative d'imaginierie stratégique (conception de stratégies de transformation organisationnelle dans la complexité) mobilisant l'ensemble des savoirs (faire et penser) des acteurs au sein de communautés utilisant ce modèle. Ce faisant, il facilite la production par ces acteurs de savoir commun  émancipateur et synergisant utilisable pour élaborer des stratégies de transformation organisationnelles dans la complexité croissante. En résumé, le modèle SOLARIS vise à enrichir, renforcer et stimuler le processus d'intelligence stratégique, en débridant le processus de maîtrise de l'intelligence collective au sein de communautés l'utilisant. Ce processus mobilise ainsi, dans le cadre de notre modèle, une approche méthodologique rigoureuse concernant le développement et la gestion du réseau, de l'analyse et de la mémoire de ces organisations sociales (Besson et Possin, 2001).

Nous formulons l'hypothèse que le modèle SOLARIS peut favoriser, de par sa nature synergisante, le développement d'une compréhension commune holistique reposant sur la co-construction de complexité permettant de nourrir la lecture et l'écriture collective de la réalité via une pensée complexe glocale stratégique court et long-termiste. Cette coopération synergique peut ainsi favoriser, selon nous, la dynamique d'intelligence stratégique.

La méthodologie scientifique du SOLARIS repose sur l'hybridation de savoirs académiques (généraux) et expérientiels (singuliers) via une reliance expérientielle entre les deux, et entre les différents savoirs « froids » corrélés afin :

  • D'établir, au travers d'expérimentations collectives, d'éventuels liens de causalité menant à des théories déjà existantes ; et / ou
  • D'introduire de nouvelles idées créatives pour faire évoluer les savoirs, afin de favoriser la nature dynamique évolutive du savoir.

Les pratiques de conception fragmentée du savoir participent, dans le cadre du modèle SOLARIS, à des intentionnalités de recherches collaboratives et contributives sur une base ouverte et distribuée de pair-à-pair. Certains mécanismes à l’œuvre dans ce processus collaboratif et contributif participent aux mutations du statut du document scientifique : de connaissance figée et inerte à savoir « vivant » évolutif et ancré dans un rapport social. En d'autres termes, une ressource utilisable dans la transformation sociale afin de développer et renforcer la résilience et la régénération sociale dans un contexte de complexité croissante. Notre travail de conception du SOLARIS s'ancre dans un processus culturel visant à fabriquer collectivement du savoir légitime en partant des expériences personnelles, les affects pouvant être transformés en savoirs politiques en servant de porte d'entrée à une analyse systémique. Ce processus d'émancipation culturelle permet ainsi de comprendre, au travers d'un travail personnel de récit, que la situation dans laquelle les individus se trouvent n'est pas individuelle / personnelle mais systémique. Il permet de changer notre manière d'observer la société, en créant collectivement un espace de débat social.

Notre travail de design s'ancre dans une approche systémique de la créativité collective. Hargadon et Bechky (2006) appellent « créativité collective » la créativité qui émerge d'idées interactives de différentes personnes plutôt que de l'esprit d'un seul individu (Marion, 2012). Dans la créativité collective, aucune idée en elle-même n'est responsable de la résolution du problème, mais le problème est résolu de manière unique et émergente. Diane Nijs (2019, p.64) ajoute que le concept de créativité collective converge avec les idées de l'approche systémique de la créativité. Le Dictionnaire de la créativité (Gorny, 2007) définit l'approche systémique de la créativité comme étant à l'intersection de facteurs individuels, sociaux et culturels (Amabile, 1983, 1996 ; Csikszentmihalyi, 1996, 1999 ; Simonton, 1988 ; Woodman et Schoenfeld, 1989). Considérer la créativité en tant que processus systémique ou collectif mobilise un artefact (comme construction linguistique conçue selon le mode de pensée narratif pour stimuler et encadrer l'imagination collective en « recalibrant la normalité »[9]).

Les apports espérés du modèle SOLARIS au champ scientifique

Le modèle SOLARIS vise à appréhender de manière créative plusieurs problèmes complexes liés au processus de création de savoir dans le champ scientifique, comme :

- Le manque de contextualisation culturel (cognitif, social, législatif et technique) à l’égard du processus d’élaboration de la connaissance et du savoir scientifique. Le SOLARIS facilite ainsi la conscientisation et la mise en évidence – grâce à des séquences de questions formulées à cet effet[10] – de la nature complexe du savoir intrinsèquement subjectif / biaisé (e.g., résultat d'expérience ne pouvant jamais être reproduites dans des conditions exactement identiques) ;

- La nature non-synergisante : Via une forme non appropriable par le grand public, rendant difficile le partage des savoirs et leur hybridation synergique en vue de produire de l'intelligence collective ancrée dans une « vision du monde élargie[11]» (Nijs, 2014 basé sur Dent, 1999, p.47). Cette nature cloisonnée peut induire un risque d'enfermement des créateurs de savoir dans une posture élitiste, éloignée du champ social via une isolation disciplinaire pouvant se transformer en outil de domination sur des individus privés des clés de compréhension. Elle peut, ce faisant, les priver d'une critique constructive élargie permettant d'enrichir et de complexifier ce savoir en adoptant, par exemple, une démarche de recherche - action ancrée dans la science ouverte citoyenne ;

- La nature « techno-scientiste » et « techno-marchande », ancrée dans l’ère « thermo-industrielle » (Conner, 2014 ; Larqué et Pestre, 2013 ; Servigne et Stevens, 2015) et enfermée dans dans une pensée « rationnalisante » (Morin, 1999) ne permettant pas d'appréhender de manière fine la réalité complexe et d'imaginer de nouvelles voies d'évolution possibles : Via une non conscientisation et non compréhension des différents biais cognitifs et des ignorances intrinsèquement liées à la création et à l'émergence de cette ressource, induisant une aliénation au « cadre méthodologique » structuré par les démarches inductives et déductives[12] ;

- L'arborescence du SOLARIS (via la possibilité technique de cartographier et d’explorer de manière claire et attractive l'évolution chronologique des savoirs grâce à la structure documentaire de notre modèle facilitant ce processus) permet de recalibrer la manière de transmettre le savoir de par une fonction de « laboratoire cognitif historicisé » (ancré dans un contexte sociohistorique aisément identifiable et traçable).

Le raisonnement logiscénique au cœur de la méthode de raisonnement SOLARIS

Le modèle SOLARIS – et plus globalement notre méthodologie de recherche ImagineerInt – facilite matriciellement l’élaboration et l’exploration de raisonnements que nous nommons « logiscéniques » (fusion des mots : logique, logistique, scénique et scénaristique, et de leurs sens respectifs).

Le raisonnement logiscénique fait dialoguer la déduction, l'induction, l'abduction (raisonnement rétroductif) et l'imaginaction (raisonnement projectductif) afin de faciliter un raisonnement scientifique rigoureusement, sensiblement et stratégiquement mené via un dialogue constant entre mode de pensée logico-rationnel et mode de pensée narratif[13] mobilisant l'imagination créative et la pensée inventive.

Les raisonnements logiscéniques font ainsi dialoguer approche déductive, inductive et abductive, en intégrant dans ce processus une autre approche centrée sur la spéculation d’événéments futurs « croyables » (Minvielle et al, 2016) que nous nommons « démarche imaginactive ».

L'imaginaction est un raisonnement créatif « rebondissant » sur des connaissances existantes (celles-ci servant de « tremplin » à l'imagination) afin de spéculer sur les futur d'un objet d'étude en explorant des idées créatives problématisantes formalisées sous la forme de scénarios « croyables ». L'objectif est, par ce biais, de stimuler le désir d'acteurs de tester ces idées par le biais d'expériences en laboratoire, sur le terrain ou en pensée. Le raisonnement logiscénique permet de maintenir le raisonnement scientifique vivant, évolutif et non figé, i.e., non prisonnier d'un prisme « techno-scientiste[14]» ancré dans une vision purement réductionniste et déterministe du monde. Les documents élaborés à partir du modèle SOLARIS sont ainsi structurellement conçus pour faciliter l'approche intégrative de données en constituant un « jeu de données épaisses » stimulant l'analyse et l'inspiration créative (Wang, 2013).

La démarche imaginactive capacite les individus et les collectifs dans leur auto-détermination au sein d'un contexte de complexité croissante, en mobilisant et stimulant l'augmentation et l'affinement de savoir par le biais d'une intelligence collective universelle[15]. Elle maintient ainsi le futur des organisations sociales ouvert, en considérant dans ses scénarios des événements à faible probabilité d'occurrence « croyables », « désirables » et « préférables », en conservant dans l'imaginaire collectif politique la notion d'exception et d'auto-émergence transformationnelle au sein de systèmes sociaux complexes et évolutifs. Elle évite, ainsi, une enclosure de la pensée (et, par extension, de l'idée du futur) dans une vision déterministe extrême (reposant sur une « norme statistique[16]») stérilisant l'imaginaire et, par extension, affaiblissant considérablement le raisonnement créatif et l'action audacieuse potentiellement transformationnelle par l'inspiration[17]. L’intégration d’un dialogue entre intelligence stratégique et imaginierie stratégique (reposant sur l’imagination, la créativité et l’inventivité stratégique) dans la méthodologie scientifique permet ainsi d’appréhender des contextes problématiques complexes en explorant de nouvelles voies d’évolution pérennes pour le vivant, au lieu de se contenter d’étudier ce réel problématique en en subissant les effets et, ainsi, en se condamnant à en subir une extrapolation en laissant le futur en « jachère intellectuelle ».

 

 

Figure 2. Matrice de raisonnement « logiscénique » encodée dans le modèle d'élaboration et d'hybridation de savoir

SOLARIS et, plus globalement, dans notre modèle ImagineerInt. Elle permet de construire des analyses complexes, et de les explorer par le biais d'une démarche d'intelligence stratégique. Les régularités concernent le champ des sciences sociales, celles-ci échappant à toute forme de lois et ne pouvant aboutir qu'à la découverte de régularités selon Étienne Klein[18] (2014). L'empirisme renvoie à la formalisation d'expériences de vie sous la forme d'énoncés causaux (« Je sais / Nous savons d'expérience singulière que... ») pouvant servir de support à une théorisation.

Ainsi :

- Les démarches déductive et inductive concernent le dialogue entre théorie et expérience (en laboratoire, in situ ou de pensée). Les démarches déductive, inductive et abductive recherchent un ou plusieurs liens de causalité entre deux éléments (objet / phénomène) déjà réalisés / survenus ;

- Les démarches abductive et imaginactive concernent le champ spéculatif, en explorant de nouveaux possibles concernant un réel connu (abduction et certaines dimensions de la démarche imaginactive) ou non encore observé à large échelle (idée prototype encodant un scénario « croyable » à venir, conçu pour « déranger / secouer » la réalité cognitive et sociale) dans le présent. Ces deux démarches introduisent de nouvelles idées créatives dans le processus scientifique, maintenant celui-ci dynamique et évolutif ; en d'autres termes, elles produisent des savoirs évolutifs reliés, reliables (hybridables pour faire émerger de nouveaux possibles ou potentiels) et aptes à s'auto-réformer ;

- L'abduction explore et interroge des possibles passés, tandis que l'imaginaction explore et interroge des possibles (liens de causalité linéaires ou récursifs) futurs en incitant, par le biais de la représentation dans le présent de ces scénarios créatifs, à leur expérimentation (test / interrogation).

- Tandis que les démarches déductive, inductive et abductive cherchent à augmenter et affiner la compréhension du réel existant, l'imaginaction explore de nouveaux réels possibles ou en puissance (potentiels) afin de transformer la réalité en vue de poursuivre un objectif d'augmentation, d'affinement et de pérennisation du savoir scientifique (et, par extension, de la science) dans la complexité croissante. Par exemple, en œuvrant à explorer des scénarios pérennes pour l'humanité dans un contexte d'effondrement écologique, ainsi qu'en promouvant des moyens d'étude du réel et des outils de production, de partage et de stockage des savoirs adaptés à un contexte d'épuisement des métaux et des terres rares nécessaires à la fabrication des techniques numériques.

La démarche épistémagnoto-praxéologique comme démarche dialogique du modèle de recherche - action ImagineerInt

Notre démarche de recherche scientifique est une démarche que nous nommons « épistémagnoto-praxéologique ». Celle-ci fait dialoguer :

- L'épistémologie, entendue ici comme l'étude et la construction de connaissance. Ce processus ouvert et distribué de pair-à-pair est structurellement supporté dans notre travail de design organisationnel par une « interdépendance épistémique[19]» co-constructionniste matriciellement renforcée ;

- L'agnotologie (Proctor, 1995 ; 2008), entendue comme l'étude et la construction stratégique d'ignorance afin d'enrichir l'analyse critique et créative d'un objet ou de savoirs le concernant ; et

- La praxéologie, entendue comme l'étude et la construction stratégique de l'action éclairée et efficiente (dans un contexte de complexité croissante caractérisée notamment par une raréfaction des ressources énergétiques utilisables pour effectuer des transformations[20]), ici ancrée dans une démarche de recherche - action reposant sur le paradigme de la science ouverte citoyenne. Nous intégrons dans cette dimension les concepts d'« imagination praxéologique » (Maurel, 2010), d'« intelligence de l'action[21]» (Le Moigne, 2009) et de « réseaux d'échanges réciproques de savoirs » (Héber-Suffrin et Héber-Suffrin, 2012).

Conformément aux analyses du sociologue Christian Maurel (2010, p.46), nous considérons dans le cadre de notre recherche - action la culture comme un ensemble de rapports sociaux et de pratiques, que celles-ci soient inconscientes de leurs effets (mais qui n'en restent pas moins des pratiques) ou conduites rationnellement et volontairement dans une démarche ordonnée et selon des objectifs (ce que Maurel nomme praxis). L'éducation populaire, comme démarche culturelle sous-jacente à notre recherche - action, constitue ainsi une production collective de savoir, de représentations culturelles et de signes qui sont propres à un groupe social en conflit (id., p.23). L'origine et la racine de l'éducation populaire est ainsi, en accord avec les analyses du théoricien et praticien de cette praxis Franck Lepage (2001), d'être une dimension culturelle de production de l'action collective.

Concernant l'approche de données, nous avons opté dans le cadre de notre travail d'éducation populaire pour une approche qualitative « ethnographique » (Wang, 2013) – basée sur l’étude des récits expérientiels de vie – qui nous semble la plus adaptée à notre démarche expérimentale ancrée dans cette praxis.

Notre approche de recherche est intrinsèquement transdisciplinaire, et nous a amené à hybrider des connaissances scientifiques issues de multiples domaines de recherche (information - communication, physique, biologie, informatique, game design,…). L'utilisation au cœur du développement théorique sous-jacent à notre modèle pratique de concepts transversaux comme l'énergie, le travail ou encore l'évolution ou la transformation (avec les concepts de force et de puissance, notamment de « puissance d'agir » au cœur des théories de l'éducation populaire) nous a permis de faciliter cette hybridation conceptuelle pour développer un savoir scientifique à la fois créatif et sémantiquement cohérent. Le fait de travailler en collaboration avec des professionnels issus des champs scientifiques que nous avons hybridés nous a permis de nous assurer de l'intelligibilité de nos nouveaux savoirs et de nos concepts transdisciplinaires.

Mise en oeuvre de la première expérimentation du modèle SOLARIS en contexte professionnel 

Un ingénieur en mécanique, que nous avons formé au modèle ImagineerInt dans le cadre de notre recherche - action, a décidé par lui-même d'expérimenter notre modèle SOLARIS dans un contexte problématique complexe au sein de son entreprise (une multinationale du secteur de l'automobile). Cet ingénieur en mécanique a ainsi eu l'occasion de mettre en œuvre ce modèle dans un contexte de terrain, quelques semaines seulement après que nous l'ayons formé à son utilisation (en septembre 2017). Cette partie retranscrit son retour qu’il nous a formulé oralement à la suite de cette expérimentation. Nous avons essayé de retranscrire celui-ci le plus fidèlement possible, en respectant le vocabulaire employé par cette personne pour décrire son processus expérimental.

Cet ingénieur (Florian Gineste) a été confronté, dans le cadre de son travail, à une situation de rupture technologique concernant un composant d’un moteur de voiture (un coussinet, élément mécanique qui créé la jonction entre une bielle et le vilebrequin). Ce composant amènerait à la destruction complète du moteur s’il n’était plus qualitativement conforme et à une plus grande consommation énergétique en utilisation dégradée. Il est donc, de ce fait, extrêmement stratégique. Les équipes de l'entreprise en charge de ce projet souhaitaient ainsi opérer une rupture technologique sur ce composant fondamental. La production de coussinet était produite par une usine française située en Savoie lors de la situation des faits, spécialisée dans la fabrication de composants automobiles pour constructeurs – équipementier automobile de rang 1. Sa production de coussinet était réservée à l’entreprise de notre ingénieur. Ainsi, si ce fabricant n’avait pas pu satisfaire la demande qualitative et quantitative de l’entreprise, alors cette dernière aurait choisi de changer de fournisseur.

La propre équipe de Florian considérait que le projet mené avec cette équipe savoyarde n'était pas viable, et qu'ils devaient donc l'arrêter.

Dans ce contexte-là, Florian a décidé de récupérer des données (rapports et mails) produites et diffusées par les équipes (de son entreprise et du fournisseur). L'idée était de récupérer ces rapports pour les recontextualiser grâce au modèle documentaire SOLARIS, et mieux éclairer la décision.

Florian a considéré chaque rapport comme un SOLIS (chaque document possédant des  données « d'entrée » ─ avec des informations et connaissances ─ et de « sortie » ─ avec des questions et des ignorances) afin de pouvoir les agencer de manière intelligente et raisonnée.

Son travail s'est ainsi divisé en quatre phases :

- Première phase : Il a élaboré des SOLIS en récupérant ces données qui ont permis de construire un raisonnement sur leur base. Suite à ce travail, Florian a élaboré un SOLARIS en connectant et en hybridant ces différents SOLIS.

- Deuxième phase : Il a motivé la poursuite du projet par rapport aux données qu'il a analysées et aux nouvelles conclusions apportées. L'équipe de son entreprise a pu être convaincue par cet argumentaire rigoureux issu de son raisonnement structuré par le SOLARIS. Le fait d'avoir pu hybrider et mettre en relation des savoirs locaux jamais mis en relation auparavant avec des savoirs qui venaient de la théorie et de l'expérimental, ont ainsi permis d'obtenir cette décision.

- Troisième phase : Les représentants des différents protagonistes se sont réunis au sein de son entreprise. Florian a alors décidé d’exposer toute l'expérience SOLARIS, en reprécisant et rediffusant les informations stratégiques pour éclairer l’analyse collective du problème avec un très bon résultat. Il a ainsi au préalable partagé les différents SOLIS qu'il avait créé pendant la première phase avec leurs entrées, leurs sorties, leurs conclusions et leur contexte. Puis, il a présenté le SOLARIS élaboré à partir de leur participation, avec les différents problèmes (ignorances / questions enjoignant à une recherche d'information pour combler ces failles de raisonnement). Il a alors intégré les différents acteurs présents dans ce processus pour tenter de combler avec eux les zones d'ignorance mises en évidence par son SOLARIS, en connectant ensemble des entités locales et singulières (possédant chacune des savoir-faire singuliers et des infrastructures de production spécifiques) afin qu'elles communiquent entre elles, et pouvoir à la fin proposer un second SOLARIS plus riche et complet, qui répondait aux questions que Florian s'était posées au préalable lors de l'élaboration de son premier SOLARIS. Florian a ainsi su hybrider un premier SOLARIS qui permettait d’élaborer une analyse des données brutes et apportait un nouveau faisceau de questions avec de nouveaux SOLIS.

- Quatrième phase : Florian a diffusé le résultat de cette « expérimentation collective SOLARIS » (en tant que « bassin commun » à son entreprise et à ses fournisseurs) en présentant le résultat de son travail et de celui des acteurs impliqués dans ce processus d'intelligence collective.

Cette expérimentation du modèle SOLARIS aura ainsi induit pour Florian un triple résultat positif :

- Elle a permis de redonner à chacun une véritable place au sein de l'entreprise, non en termes de hiérarchie mais de savoir-faire. Chaque entité a ainsi pu apporter un savoir très enrichissant, et s'est sentie elle-même enrichie par cette expérience. Florian a été chaudement  remercié par ces acteurs, qui se sont sentis réellement gratifiés par le fait d'avoir pu apporter une pierre à l'édifice de ce savoir commun à ces différentes organisations ;

- Différents laboratoires, qui auparavant passaient par un nœud central (des chargés de projet qui voulaient que tout passe par eux et contrôlaient le processus de communication), ont recommencé à communiquer entre eux de manière ouverte et décentralisée pour être beaucoup plus réactifs ;

- L'expérimentation SOLARIS a pu rassurer les équipes de l'entreprise quant à la qualité du composant coussinet de bielle. Ce composant produit par l'usine savoyarde a donc été maintenu dans la chaîne de production des moteurs, car satisfaisant pleinement les exigences qualitatives de l'entreprise. Le contrat a pu être sauvé (sauvant l'emploi de 600 personnes et induisant un gain substantiel de 2 millions d'euros par an pour son entreprise). D'autres personnes qui avaient le même poste que Florian ont commencé à appliquer les mêmes procédures, en s'investissant sur la manière de construire de l'intelligence collective stratégique. Il a ainsi pu par la même occasion diffuser quelques « graines » au sein de l'entreprise (selon ses propres dires).

L'un des résultats obtenus par cet ingénieur suite à cette expérimentation collective SOLARIS a été la réorganisation systémique de plusieurs laboratoires de recherche - développement, qui sont passés d'une structure et culture du cloisonnement et de la centralisation à une structure et culture de l'ouverture et de l'échange systématique d'informations et de connaissances.

Cet ingénieur nous a par ailleurs avoué s'être basé, afin d'appréhender cette situation problématique complexe, sur notre matrice ImagineerInt dans sa globalité. Il a ainsi raisonné en termes de laboratoires singuliers œuvrant en synergie au sein d'une même organisation, et d'un patrimoine culturel commun scientifique et technique issu de la collaboration synergique de ces entités locales.

Cette matrice d’organisation sociale lui a donc, selon lui, servi à mieux structurer son processus d'analyse, de décision et d'action en vue de réaliser une nouvelle configuration organisationnelle, d'une culture de la rétention d'information stratégique à une culture du partage et d'une gestion efficace des informations, des connaissances, des savoirs mais aussi des ignorances en revalorisant ces dernières par la valorisation de l’apprentissage.

Ce modèle lui a, toujours selon lui, offert un outil pour envisager de nouvelles manières de penser et d’appréhender des situations problématiques, en élargissant ses modes de pensée. De manière plus générale, il lui a appris à développer un regard critique constructif sur son environnement sociétal, en transformant les menaces en opportunités, et les problèmes en sources d'apprentissage.

Discussion 

Cette expérimentation en contexte professionnel, bien qu’ayant produit des résultats très fructueux, doit être enrichie d’autres expérimentations afin d’affiner sa structure et sa mise en œuvre. Nous avons par ailleurs amélioré la matrice documentaire SOLIS depuis cette expérimentation, en renforçant sa dimension « intelligence stratégique ». Nous avons ainsi encodé en son sein un modèle de raisonnement stratégique complexe facilitant l’analyse méthodique et rigoureuse de problèmes et la définition et mise en œuvre de stratégies d’évolution pour les appréhender.

Nous expérimentons actuellement ce modèle au sein de notre recherche - action menée en région Bigorre, avec également de très bons résultats nous ayant d’ores et déjà permis de connecter et  d’hybrider de manière sémantiquement pertinente des savoirs issus de multiples domaines, et de fédérer par ce biais les acteurs ayant participé à cette expérimentation. Nous travaillons actuellement avec certains d’entre eux pour poursuivre l’expérimentation de notre modèle SOLARIS, et plus globalement du modèle ImagineerInt dans lequel celui-ci s’ancre.

Notre modèle est évidemment prototypaire et a vocation, selon notre souhait reflété dans son design, à être amélioré ainsi que traduit dans de multiples langues.

L'objectif que nous poursuivons est la vulgarisation « optimale » de notre modèle ImagineerInt afin de  faciliter sa diffusion et appropriation par le grand public. Ce dessein s'ancre dans notre posture de chercheur - praticien engagé dans une démarche d'éducation populaire par le biais d'une approche de design organisationnel. Nous travaillons actuellement en collaboration étroite avec des membres engagés dans notre recherche - action, afin de développer une version pratique de notre modèle qui soit  à la fois esthétique, intelligible et intuitive.

Nous souhaitons également inviter les chercheurs issus de multiples champs scientifiques à s'approprier nos outils d'intelligence collective collaborative, afin de nous permettre de bénéficier de retours expérimentaux les plus riches et variés possibles et renforcer la solidité et l’opérationnalité de notre modèle.

Conclusion 

Faciliter matriciellement le travail collaboratif transdisciplinaire ainsi que la gestion efficiente et pérenne du savoir utile à la transformation sociale nous semble l'un des enjeux fondamentaux de notre époque. Former des acteurs citoyens à la pratique de la science ouverte citoyenne nous paraît ainsi plus que jamais nécessaire pour renforcer la capacité des territoires à s’autodéterminer à travers l’exploration rigoureuse, méthodique et créative de « voies coopératives d’émancipation » (Verrier, 2016). Il nous semble donc essentiel, pour appréhender notre situation planétaire complexe, de débrider dès à présent le moteur créatif de l'humanité afin d'alimenter une dynamique d'émancipation collective sur la base d'une intelligence collective universelle dépassant les antagonismes culturels au profit d'une culture glocale synergique à la fois diversifiante et universalisante. Le dialogue entre l'intelligence territoriale stratégique (Bertacchini, 2006, 2012 ; Herbaux, 2007), l'imaginierie stratégique (Nijs, 2014) et l'éducation populaire (Maurel, 2010 ; Lepage, 2001 ; 2012) via une approche d'intelligence collective créative (Nussbaum, 2013), inventive (Besson et Uhl, 2012) et collaborative (Markova et McArthur, 2015) peut jouer, au sein de cette démarche culturelle émancipatrice et empuissançante, le rôle de « moteur pour l'histoire du futur » (Rufino, 2012).

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[1] Le sens est ici entendu dans ses dimensions :

- Intelligibilité : Faire sens (décoder via l’acquisition et la maîtrise de langages significatifs et cohérents), conceptualiser, relier et reliancer (au sens de la reliance définie par Morin, 2004 basé sur Bolle de Bal, 1985 ; 2003, comme le fait de se relier avec les autres, avec une communauté, avec une société, avec l’espèce humaine et avec le monde) ;

- Sensibilité : Mobiliser, stimuler, toucher les sens (sensations, sentiments) ; i.e., perceptualiser ; et

- Directionnelle : Se projeter vers des futurs re-présentant l’avenir de manière croyable et écologiquement soutenable, et poursuivre ces visions souhaitables, désirables et inspirantes par le biais d'une démarche scientifique créative et collaborative synergique. Re-présenté renvoie à la définition du philosophe des sciences Étienne Klein (2017) :  « dessiné, raconté et réancré dans le présent. »

[2] L'épistémologie de l'invention (selon l'expression de Deledalle) considère le mode de recherche et d'obtention de connaissances nouvelles comme un processus de conception, avec des allers et retours en confrontation entre le projet de concevoir et sa réalisation alimentant ce processus. La science n'est donc plus l'analyse et l'anatomie de ce qui existe positivement et donc nécessairement car, de même que l'art et la technique, elle invente de nouvelles réalités. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Abduction_(logique) (consulté le 20 mars 2020).

[3] L'hyperobjet renvoie, pour le philosophe Timothy Morton, à une entité d’une étendue spatio-temporelle telle qu'elle  « met en faillite l'idée même que nous nous faisons d'un objet, que l’on s’imagine habituellement pouvoir toucher ou tenir dans la main ».

[4] Halperin analyse l'utilisation de l'ouverture afin de capaciter les communautés scientifiques et éducatives. Selon elle, la science porte fondamentalement sur la réplication, et une réplication véritablement indépendante sans ouverture est impossible. Les licences fermées et le matériel exclusif limitent ainsi l'évaluation indépendante et l'accès aux connaissances. Elle précise cependant que l'ouverture possède de nombreux aspects autres que les licences, comme l'accessibilité des communications et des données. La traduction de contenus à partir de discours difficiles d'experts augmente ainsi le nombre de personnes qui peuvent interagir avec les questions et les concepts. Les données accessibles aident les gens à s'engager avec les résultats. Être ouvert ne porte ainsi, pour Halperin, pas seulement sur la science elle-même, mais sur le fait de rendre le processus accessible.

[5] L’autosaisissement renvoie à la capacité de collectifs citoyens à se saisir des questions de société, afin de participer activement à la vie politique.

[6] Par design signifie ici :

- Par conception (au cœur des règles définissant et structurant le système) ; et

- Par dessein (au cœur des intentions du concepteur concernant l'utilisation de ce système, selon un « modèle mental » en adéquation avec ses règles sus-citées).

[7] Également nommé « prolétarisation généralisée » par le philosophe Bernard Stiegler (voir son analyse à cette adresse : http://linsatiable.org/IMG/article_PDF/Bernard-Stiegler_a493.pdf#nb4 ; consulté le 20 mars 2020) Le mot « prolétaire » connote, selon lui, un individu agissant au service d'un système qu'il ne comprend pas (dans son ensemble) et qu'il ne peut donc pas critiquer, i.e.  changer.

[8] L'individuation renvoie au processus de construction des personnes en tant qu’individus singuliers. L’intersubjectivation renvoie, quant à elle, au processus de co-construction de ces individus en tant que sujets politiques engagés de manière citoyenne dans la vie sociale, en s’autosaisissant des questions essentielles la concernant.

[9] Selon l'expression de l'imagineer Will Hastings dans l'ouvrage The Imagineering Way (2003, p.67).

[10] Ces questions sont les suivantes :

- Quels sont mes différents biais dans ce savoir / raisonnement ? Par exemple, le fait d’occuper une position sociale subordonnée à des ordres spécifiques venant d'une autorité, ou bien une position géographique durant l'observation ayant amené à une observation incomplète / partielle de l'objet, etc.

- Qu'est-ce que je considère comme vrai, sans pouvoir le démontrer formellement et de manière irréfutable, dans mon raisonnement ?

- Quels sont les paradigmes culturels, cadres sociaux, économiques, politiques et/ou technologiques structurant / délimitant mon processus expérimental ?

- Quels sont les biais de mon procédé expérimental ?

- Quelle est la nature technique et juridique des outils conçus et utilisés pour l'observation ?

- Leur design me permet-il de pleinement contrôler leur comportement ? De pleinement contrôler leur viabilité ?

- Quel est mon parti pris concernant les résultats obtenus (ai-je volontairement isolé / occulté certaines données,...) ? Si j’ai volontairement occulté certaines données dans mon analyse, pour quelles raisons ? Si je pense avoir traité toutes les données, comment puis-je m’assurer de cette exhaustivité ? Quelles métadonnées ai-je intégré dans mon analyse, et lesquelles ai-je occultées ? Pour quelles raisons ?

[11] Johnson (1992 in Dent, 1999, p.11) défend le fait que « peut-être que le modèle mental le plus utile pour penser la vision du monde traditionnelle et la vision du monde émergente est celle de la polarité. Les polarités constituent des opposés qui ne peuvent pas fonctionner indépendamment l'un de l'autre. Les deux côtés d'une polarité sont interdépendants, ce qui fait qu'un côté ne peut pas être “vrai ”ou la “ solution ” au détriment de l'autre. » Ainsi, la vision du monde émergente complète et élargit l'autre.

[12] Qui sont, pour Morin (2015, p.95), limitées.

[13] Le psychologue cognitif Jerome Bruner (1986, p.11) affirme que les êtres humains ont deux modes de fonctionnement cognitif, deux modes de pensée, chacun offrant des moyens distinctifs pour commander des expériences et construire la réalité :

- Le mode paradigmatique ou logico-scientifique, que nous utilisons pour construire un argument ; et

- Le mode narratif, que nous utilisons pour raconter une histoire.

[14] Nous définissons le scientisme comme une croyance aveugle dans :

- La connaissance scientifique, isolée / non reliée (déconnectée et décorrélée) des autres champs du social (e.g., politique et économique) et érigée en « vérité absolue » non questionnable et critiquable ;

- Le mode analytique logico-scientifique (Bruner, 1986) reposant sur le réductionnisme ou « positivisme algorithmique » et, plus spécifiquement, sur la manière quantitative / statistique de traiter des données sur le réel, en mobilisant uniquement la pensée déductive (ancrée dans la théorie) et/ou inductive (ancrée dans l'empirisme).

En d'autres termes, une croyance dans des connaissances figées, inertes et non ouvertes à l'auto-réformation produites non pas par une pensée raisonnante (qui intègre la dimension analytique métacognitive) mais par une pensée rationalisante « déraisonnante » (Morin, 1999).

[15] Définie par Pierre Lévy comme « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ». L'intelligence collective implique, selon lui :

- Une décentralisation du savoir et des pouvoirs ;

- Des individus valorisés en tant que créateurs de sens ;

- Une expansion d’un espace intersubjectif dégagé des contraintes économiques et étatiques ;

- Une interactivité constante entre les individus et leur environnement (technique, économique, écologique,…) dont les modifications sont perçues et contrôlées en temps réel ;

- Une désagrégation des structures massives au profit d’entités autonomes, petites et conviviales ; et

- L'émergence d’une nouvelle convivialité et d’une nouvelle éthique.

[16] Expression formulée par Laurent Danchin. Selon ce critique d'art, la norme actuelle est devenue la statistique, faisant fi des exceptions qui, pour autant, demeurent. L'exception, dans lequel réside le génie, est pourtant selon lui absolument fondamentale dans le domaine de l'art car il offre un « espace de dilatation » qui maintient le système normatif vivant et non figé. Ne mettre en avant que la statistique enlève ainsi toute espèce de perspective d'alternative. Cela est dangereux, car ferme la porte à l'espoir, au lieu de maintenir celle-ci ouverte sur une « lumière ». En d'autres termes selon nous, elle empêche une vue vers un nouvel horizon d'innovation nécessaire à la survie d'un système social dans une complexité croissante, qui induit un besoin d'évolution constante et d'augmentation de la diversité culturelle en son sein (selon Stiegler, 2012 et Giraud, 2016). La statistique constitue ainsi, pour Danchin, une « catastrophe » car elle établit une sorte d'obligation moyenne de comportement et impose une norme qui ne correspond pas à la réalité complexe.

[17] Phénomène d'influence minoritaire favorisant la restructuration cognitive de collectifs par rapport à un présent problématique complexe nécessitant une évolution stratégique pour être appréhendé, analysé par Diane Nijs dans son ouvrage Imagineering the Butterfly Effect : Transformation by Inspiration (2014).

[18] Source : https://www.youtube.com/watch?v=A8T9F0HJ2fI (consulté le 20 mars 2020).

[19] L'interdépendance épistémique renvoie dans notre analyse à la nature intrinsèquement complexe et collaborative de la construction de connaissance et de savoir. Ainsi, nous dépendons fondamentalement d'autres individus dans le développement et l'acquisition de connaissances ou de savoirs (i.e., de certitudes supportant nos réflexions, analyses, décisions et actions) à l'égard d'un réel intrinsèquement complexe que nous ne pouvons interroger et vérifier pleinement par nous-même. Ainsi, nous ne pouvons pas tout vérifier par nous-même (par observation directe ou par raisonnement), et devons donc supposer à priori que ce que d'autres personnes témoignent à l'égard d'un événement est vrai, à moins d'avoir une raison spécifique de ne pas le faire (éléments observables rentrant en contradiction avec ce témoignage). Ne pouvant pas en permanence disposer de toutes les informations pour évaluer la crédibilité d'une personne qui témoigne, nous n'avons pas d'autre choix que de faire confiance par défaut, et de douter seulement si ce doute est justifié. La confiance est, ainsi, la règle et le doute l'exception. Nous devons souvent faire reposer notre propre jugement sur le jugement d'un tiers, et ceux qui doutent doivent alors démontrer formellement en quoi l'autre n'est pas crédible. Cette « vulnérabilité épistémique » suppose ainsi nécessairement une confiance à priori dans les travaux de recherche scientifique, afin de ne pas alimenter un « biais pessimiste », qui fait croire que le seul véritable savoir est celui dont on maîtriserait l'ensemble des justifications, sans avoir besoin d'acquérir d'autres justifications qu'à l'intérieur de nous-même (mythe de l'état d'« indépendance épistémique »). La question critique fondamentale est donc, étant donné que nous ne pourrons jamais tout vérifier par nous-même, de s'assurer de la fiabilité des processus par lequel l'information nous est transmise. Sources :

https://www.youtube.com/watch?v=L7xKfMvw5fQ; et

- Engel, P. (2006). Faut-il croire ce qu'on nous dit ?. Philosophie, 88(4), 58. doi: 10.3917/philo.088.0058

[20] Selon les lois de la thermodynamique concernant le phénomène d'entropie, stipulant que la sur-utilisation d'une énergie rend son utilisabilité future de moins en moins possible en vue d'effectuer des transformations. Cette loi permet d'éviter de nourrir, dans le cadre d'un raisonnement scientifique ancré dans la complexité, une « usine à fantasme » concernant, par exemple, des techniques numériques à forte capacité de calcul qui pourraient résoudre des problèmes majeurs de notre époque, compte tenu de l'épuisement croissant de la quantité d'énergie ordonnée et de ressources matérielles nécessaires à leur fabrication, utilisation, maintenance et recyclage. Voir, par exemple, les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen.

[21] Le spécialiste en systémique et en épistémologie constructiviste Jean-Louis Le Moigne défend le fait que « l’Intelligence de l’action appelle l’exercice de la pensée complexe ». Pragmatique et épistémique sont ainsi, selon lui, inséparables.
 
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