Des origines du langage au dialogue naturel avec les machines : un regard anthropologique

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Auteur

François Perea

PEREA François

Professeur des universités en Sciences du Langage                  
UR LHUMAIN
                       
Université Paul-Valéry Montpellier 3 
Route de Mende
34 199 Montpellier
France
 

 

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Perea, F. (2024). Des origines du langage au dialogue naturel avec les machines : un regard anthropologique. Revue Intelligibilité du numérique, 6|2024. [En ligne]

 

 

Résumé : Les dispositifs de dialogue dits « naturels » entre humain et machine connaissent un développement croissant, sous des formes de plus en plus sophistiquées. Au-delà des prouesses informatiques qui permettent une telle interaction et des discours d’escorte qui incitent les humains à s’engager dans de telles relations, il convient de questionner ce qui constitue une rupture anthropologique majeure. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, l’être humain parle à autre chose qu’à un être humain et s’attend à ce que cette autre chose lui répondre comme le ferait un être humain. La chose n’est pas évidente et la langue elle-même ne trouve pas les ressources pour intégrer le changement puisque l’on ne peut dire « quoi parle ? ».
Le présent travail questionne ce changement qui touche donc une des caractéristiques de notre espèce : le langage tel qu’il se présente premièrement et essentiellement sous forme de dialogue dans l’ontogenèse et la phylogenèse. Dans une première partie (1. Du dialogue originel aux techniques du langage), il s’attache à explorer les hypothèses visant à expliquer pourquoi, depuis les origines, les humains parlent entre eux et la place des technologies dans l’histoire des pratiques langagières. Une deuxième partie (2. L’engagement dialogal de l’humain vers la machine), présentera les moyens déployés pour mobiliser chez les sujets parlants les ressources de cette activité spécifiquement humaine dans le cadre du dialogue avec les objets. Une troisième partie (3. Humain et machine en continuum), questionnera les transformations du quoi et celle du qui dans ce dialogue naturel, dont même l’artificialité ne va pas de soi. 

Mots-clés : langage, anthropologie, dialogue, dialogue avec les machines, anthropologie numérique.


Title : From the origins of language to natural dialogue with machines: an anthropological perspective

Abstract : Dialogue devices between humans and machines known as "natural" are undergoing increasing development, in ever more sophisticated forms. Beyond the computer prowess that enables such interaction and the escorting discourses that encourage humans to engage in such relationships, we need to question what constitutes a major anthropological break. For the first time in the history of mankind, human is talking to something other than a human, and expecting this other thing to respond as a human would. This is no easy matter, and language itself cannot find the resources to integrate the change, since we cannot say “what's talking”. 
The present work questions this change, which affects one of the characteristics of our species: language as it appears first and foremost in the form of dialogue in ontogenesis and phylogenesis. The first part (1. From original dialogue to language techniques) explores the hypotheses that explain why, from the very beginning, humans have spoken to each other, and the place of technology in the history of language practices. The second part (2. Dialogical engagement from human to machine), will present the means deployed to mobilize in speaking subjects the resources of this specifically human activity in the context of dialogue with objects. The third part (3. Human and machine in continuum), will question the transformations of the what and the who in this natural dialogue, whose artificiality is not self-evident. 

Keywords : language, anthropology, dialogue, dialogue with machines, digital anthropology.

 

Título : De los orígenes del lenguaje al diálogo natural con máquinas: una perspectiva antropológica

Resumen : Los llamados diálogos «naturales» entre humanos y máquinas son cada vez más frecuentes y adoptan formas más sofisticadas. Más allá de las proezas informáticas que permiten tal interacción y del discurso de acompañamiento que anima a los humanos a entablar tales relaciones, debemos cuestionarnos qué constituye una ruptura antropológica importante. Por primera vez en la historia de la humanidad, los seres humanos hablan con algo que no es un ser humano y esperan que esa otra cosa responda como lo haría un ser humano. No es cosa fácil, y el propio lenguaje no ha encontrado los recursos para integrar el cambio, ya que no podemos decir «lo que habla».
La presente obra se interroga sobre este cambio, que afecta a una de las características de nuestra especie: el lenguaje tal y como aparece primera y esencialmente en forma de diálogo en la ontogenia y la filogenia. En la primera parte (1. Del diálogo original a las técnicas lingüísticas), se propone explorar las hipótesis que explican por qué, desde el principio, los humanos han hablado entre sí, y el lugar de las tecnologías en la historia de las prácticas lingüísticas. La segunda parte (2. El compromiso dialógico de los humanos con las máquinas) presentará los medios desplegados para movilizar en los sujetos hablantes los recursos de esta actividad específicamente humana en el contexto del diálogo con los objetos. La tercera parte (3. Humano y máquina en continuo) cuestionará las transformaciones del qué y el quién en este diálogo natural, cuya artificialidad ni siquiera es evidente. 

Palabras clave : lenguaje, antropología, diálogo, diálogo con máquinas, antropología digital.

 

Les dispositifs de dialogue dits « naturels » entre humain et machine connaissent un développement croissant, sous des formes de plus en plus sophistiquées. Ils nous invitent à parler simplement à notre téléphone (tel Siri), notre voiture (ConnectNav) ou encore des robots simulant des émotions (Cosmo) et à attendre des réponses. Ils nous prodiguent des conseils sur notre santé (Smart Alfred), nos choix d’orientation scolaire (Hello Charly), notre sexualité (Sacha) ou nos sorties culturelles (Ask Mona). De plus en plus sophistiqués ces agents conversationnels désormais distingués par certains industriels comme « assistants virtuels » mobilisent les outils de l’intelligence artificielle et s’infiltrent peu à peu dans notre paysage conversationnel écrit (chatbot) et oral (voicebot). 

Au-delà des prouesses informatiques qui permettent une telle interaction et des discours d’escorte des concepteurs et des vendeurs qui incitent les humains à s’engager dans de telles relations (« Adressez-vous à Siri comme à une personne », invite la firme Apple), il convient de questionner ce qui constitue une rupture anthropologique majeure.

En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, l’être humain parle à autre chose qu’à un être humain et s’attend à ce que cette autre chose lui répondre comme le ferait un être humain. La démarche est différente de celle qui consiste à râler contre la voiture qui ne démarre pas ou à s’adresser à la statue d’un saint dans une église car dans ces derniers cas, personne ne s’attend à ce qu’un dialogue ordinaire se mette effectivement en place. Les assistants virtuels, eux, portent la promesse d’une interaction langagière de plus en plus performante : ces objets parlants sont présentés comme de véritables sujets parlants. La chose n’est pourtant pas évidente et la langue elle-même ne trouve pas les ressources pour le signifier puisque l’on ne peut dire « quoi parle ? ».

Le présent travail questionne ce changement qui touche une des caractéristiques de notre espèce : le langage tel qu’il se présente premièrement et essentiellement sous forme de dialogue dans l’ontogenèse et la phylogenèse. Dans une première partie (1. Du dialogue originel aux techniques du langage), il s’attache à explorer les hypothèses visant à expliquer pourquoi, depuis les origines, les humains parlent entre eux et la place des technologies dans l’histoire des pratiques langagières. Une deuxième partie (2. L’engagement dialogal de l’humain vers la machine), présentera les moyens déployés pour mobiliser chez les sujets parlants les ressources de cette activité spécifiquement humaine dans le cadre du dialogue avec les objets. Une troisième partie (3. Humain et machine en continuum), questionnera les transformations du quoi et celle du qui dans ce dialogue naturel, dont même l’artificialité ne va pas de soi. 

Du dialogue originel aux techniques du langage

Pour comprendre les incidences de cette nouvelle activité dialogale à laquelle s’adonnent les humains contemporains, il est nécessaire de comprendre ce que le dialogue est pour notre espèce et les liens qui unissent le langage et la technique.  

Aux origines du dialogue humain

Langage, dialogue et Humanité sont liés de manière indissociable. Pour saisir ce lien dans son caractère le plus essentiel, il est nécessaire de retourner aux sources.

— La question interdite du langage

Explorer les origines du langage ne va pas de soi : il y a peu de données matérielles tangibles. Les crânes permettent aux paléoanthropologues d’inférer des capacités phonatoires et des compétences cognitives, les peintures rupestres de symboles de risquer des hypothèses sur des formes de pré-écriture, les configurations de campements de supposer des organisations sociales, mais ces indices ne permettent guère d’avoir de certitude. La complexité est telle que La Société de linguistique de Paris a interdit le sujet du champ de la réflexion en admettant « aucune communication concernant l'origine du langage » (article 2 de ses statuts, approuvés par décision ministérielle du 8 mars 1866). Aujourd’hui encore, le sujet est peu abordé dans les ouvrages généraux sur le genre Homo comme s’il subsistait une impossibilité – voire un malaise – à traiter la question. 

Le manque de traces linguistiques ne signifie cependant pas qu’il ne faut pas s’interroger sur une caractéristique si particulière de notre espèce. Avec prudence, il est possible de tracer quelques grandes lignes du développement de cette compétence qui a participé à nous faire humains.  

— Un substrat à discuter chez les hominidés

L’une des pistes permettant de remonter dans la généalogie du langage consiste à abandonner un point de vue anthropocentré et à explorer les formes de communication des primates non humains, et de ce fait un substrat commun chez les espèces d’hominoïdes. 

La comparaison n’est pas évidente car aucune espèce observable de nos jours n’est semblable aux précédentes si l’on remonte vers les racines du buisson de l’évolution. Elle permet cependant de ne pas se concentrer uniquement sur l’origine vocale du langage et d’intégrer des éléments de communication gestuelle :  « s'agissant de rechercher dans les comportements communicatifs des précurseurs du langage, la posture théorique consiste à postuler une origine multimodale, intégrant à la fois une origine gestuelle et une origine vocale » (Vauclair, 2013, p. en ligne).

Une communication gestuelle couplée à des manifestations vocales semble désormais avérée : elle est présente chez toutes les proches espèces. Dans ses formes premières, ce mode d’expression et de communication était probablement et demeure dans une certaine mesure sous la dépendance des systèmes gérant les émotions : on songe au cri d’alerte et aux gestes de désignation du danger par exemple. 

Cependant, si un substrat commun avec certains modes de communication des primates est envisageable, il ne faut pas en déduire une liaison directe entre ceux-ci et le langage humain dans ses caractéristiques propres. Si tel était le cas, nombre de primates parleraient aujourd’hui or, le système de communication qui est le leur – et qui a lui aussi évolué – est différent. Le langage humain a des spécificités qui ne sont nullement présentes dans aucune forme de communication animale. Il est donc raisonnable de considérer qu’un substrat commun (dont il peut rester quelques traces aujourd’hui chez les humains) a évolué de deux manières différentes dont l’une, par rupture, dans le cadre de l’évolution de notre espèce (construction de niche spécifique ; pour un examen critique : Derek Bickerton, 2010).

— La bipédie libère la main et transforme la communication dans le groupe

La bipédie intégrale est généralement attestée depuis près de 3 millions d’années, et certaines hypothèses supposent même une bipédie ancestrale bien plus ancienne. Elle témoigne d’une anatomie spécialisée dans la marche et la course. 

En libérant l’usage des membres supérieurs, la bipédie permet leur libération pour d’autres activités et leur évolution. La main est transformée, permettant d’en faire un instrument de préhension polyvalent, sensible et complexe, à l’instar des évolutions cognitives qui y sont liées. 

Les nouveaux usages de la main permettent le développement des cultures matérielles, notamment lithiques (pour les traces les plus durables que nous pouvons en percevoir), de partage, de communication. Silvana Condemi et François Sabatier écrivent ainsi : « La main libérée par la bipédie, en nous aidant à saisir, à évaluer, à transformer et à façonner des objets, a puissamment contribué à notre cognition. Il faut y ajouter son rôle dans la naissance du langage, né de la nécessité de coordonner le groupe (pré)humain doté d’une culture, puis de l’avantage de se parler pour renforcer le lien social » (2021, p. 68-69). Et Louis-Jean Calvet d’ajouter : « au fur et à mesure que le quadrupède se transforme en bipède, qu’il se dresse sur ses pattes arrière, il « s’invente » à la fois des mains (les anciennes pattes avant) et une capacité de langage » (2010, p.27).

Le développement anatomique, cognitif et social constitue un terreau pour le déploiement des capacités langagières. La communication gestuelle demeure et certains ont pu faire l’hypothèse de sa transformation sous l’effet du langage apparu, sous forme de code gestuel utile lorsque les échanges devaient être silencieux (chasse, guerre). Pour Jean Clottes et Jean Courtin (1994), les peintures négatives de mains pourraient représenter des vestiges de ces codes. 

Mais c’est l’évolution des signes vocaux en système complexe et unique dans le vivant qui va véritablement catalyser les compétences symboliques et sociales de nos ancêtres et de leurs contemporains. Mieux : elle peut ne pas être perçue comme la conséquence du développement de la taille du cerveau mais comme sa cause : le cerveau s’adaptant à un nouveau comportement qui a été retenu par le processus sélectif de l’évolution. 

— Du protolangage au langage

En croisant des séries d’observation sur différents terrains (émergence de créoles, communication chez les grands singes ou encore productions langagières d’enfants dit sauvages), Derek Bikerton fait l’hypothèse d’un développement du langage en deux temps. Il postule l’existence d’un protolangage apparu il y a environ deux millions d'années, largement lexical (verbes, noms, adjectifs) sans ordre réellement défini, sans marque flexionnelle ni mot grammatical. Ce protolangage aurait permis des descriptions sommaires, en l’absence de grammaire, et la coordination lors de séances de charognage supposant outillage et coordination d’équipes réunies pour l’occasion, faisant remonter les humains dans l’ordre de la chaîne alimentaire.

Ce substrat va évoluer dans un milieu culturel et social qu’il va en même temps façonner (théorie de l’évolution de niche), se complexifiant et impliquant des évolutions cognitives. Il semble bien qu’Homo erectus (1.7 MA / -200.000 ans BP) ait accédé à l’expression d’une pensée symbolique. Son cortex et les autres zones cérébrales liées à la faculté du langage (aires de Broca et de Wernicke, territoire de Geshwind) sont en effet développées.  

Si une extrême prudence est de mise sur les datations, un large consensus permet d’attester que les formes de langage telles que nous les connaissons aujourd’hui étaient présentes entre 400.000 ans et 50.000 ans BP. 

Le langage possède des qualités qui rendent possible une pensée et des échanges complexes. Bernard Victorri (2006) souligne les caractéristiques des langues alors produites : récursivité (emboitement de phrases les unes dans les autres), manipulation des temps et aspects (situation et mise en relation des événements dans le temps), modalisation (nuances dans la prise en charge du propos). 

Les motivations sociales de ces développements sont diversement envisagées. Pour Jean-Louis Dessalles, ce développement répond à un besoin de structuration et de positionnement dans le groupe : il est essentiellement lié à des stratégies d’argumentation. Pour Bernard Victorri, l’expression langagière répond plutôt à un impératif narratif et la nécessité de proposer de grands récits explicatifs et organisateurs de la vie de la communauté, des mythes posant les interdits et garantissant une cohérence culturelle, dans des groupes grands et complexes.

Cette place prépondérante de la symbolisation langagière du monde apparait au Moustérien (300.000 à 35000 BP), au moment où la production lithique mobile se spécialise (pointes, grattoirs, racloirs, lames…) et se standardise (opérations de débitage et de retouche) ce qui suppose un partage, une transmission des techniques. Elle accompagnera « l’explosion symbolique » (40.000 ans BP) dont les exemples picturaux sont connus : figures géométriques, traces de têtes d’animaux, symboles sexuels, gravures et peintures de groupes d’animaux. Les bijoux ornementaux et les premières sépultures témoignent que Sapiens comme d’autres représentants du genre Homo de ces périodes collaborent et structurent symboliquement le monde. 

— La spécialisation conversationnelle

L’interaction est la nature première et fondamentale du langage humain. Elle est caractérisée par la co-construction du propos et des idées. Si l’apparition de l’écriture a façonné notre manière de percevoir les langues à travers des conceptions spécifiques et des outils de référence comme les grammaires et les dictionnaires (des grammatisations dirait Sylvain Auroux), il faut garder à l’esprit que la nature première et profonde du langage est d’abord orale et coénonciative. C’est dans ce cadre que s’est développé pendant plusieurs centaines de milliers d’années le langage et qu’à prospéré l’Humanité en ce qu’elle est constituée, fondamentalement, de sujets parlants.    

Cette nature conversationnelle (le dialogue ordinaire quotidien) participe alors à organiser les sociabilités humaines. Si le contenu des échanges a son importance, le fait même de se parler, au-delà de tout échange informationnel, est structurant. 

Robin Dunbar (2002) estime que ces bavardages chronophages et sans finalité pratique apparente (qui représentent pour lui les deux tiers de nos conversations quotidiennes) dérivent de l’une des activités favorites de nos cousins épouilleurs. Le primate occupé à épouiller avec application son congénère ne se contente pas de lui venir en aide pour sa toilette tout en s'assurant un complément alimentaire : il travaille activement à la cohésion de la communauté.

Les relations d’amitié et de confiance entre les congénères en découlent : plus le primate s’y consacre, plus le nombre d’amis augmente : les gibbons passent 5% de leur temps à épouiller et constituent des groupes de 3 ou 4 membres alors que les babouins consacrent 20 % de leur temps à cette activité, aux seins de groupes de 50 membres et plus. Cependant il y a une limite : si la taille du groupe est trop importante, chaque membre s’occupe d’un réseau restreint de congénères avec qui il a des relations privilégiées, alors qu’il conserve des relations plus « ordinaires » avec les autres.  

L'auteur fait l'hypothèse que le bavardage (un « épouillage verbal ») aurait permis à l'homme de gagner du temps en s'adonnant à d'autres activités simultanément, tout en pratiquant ces indispensables échanges sociaux. Nos relations quotidiennes s’organisent aussi en réseau de dialogues : plus nous conversons avec des individus, plus ils sont susceptibles d’adopter des comportements de solidarité appuyés, selon des degrés proportionnels aux temps d’échange : petit dépannage pour le voisin avec qui un simple « bonjour » est échangé ou grand service aux amis avec qui nous papotons longuement tous les jours.  

On sait également que les interactions premières entre parent et enfant, leurs ajustements mutuels dans la perception et le déchiffrage des signaux, constituent l’un des fondements de l’appareil psychique. Les comportements posturaux, visuels et vocaux déployés dans le cadre de cet « accordage affectif » (D. Stern, 1985) constituent les matrices des comportements conversationnels (réglage de l’alternance des tours de parole, des regards, des postures, etc.). 

Ainsi que ce soit dans l’histoire de l’espèce ou celle des individus, la conversation possède une importance sociale et psychologique majeure, liée à l’attachement interpersonnel, social et à la transmission culturelle.

L’inscription dans l’acte de co-énonciation est donc premier, il vise aussi bien la transmission (des techniques de taille lithique par exemple), la structuration sociale (depuis l’épouillage verbal pointé par Dunbar), la coordination pour des activités complexes (tels les épisodes de chasse collectifs) ou encore la création commune de récits. Cette nature co-énonciative est inscrite dans le langage qui prend sens dans l’action et l’expérience partagée. L’humain dans son existence tout entière est le fruit de cette intersubjectivité travaillée en permanence dans le dialogue. 

A partir d’une base archaïque partagée et sous l’effet d’évolutions anatomiques et culturelles, le langage humain s’est développé dans sa spécificité. Dès lors, pour Claude Hagège (1985) « s’il est homo sapiens, c’est d’abord en tant qu’homo loquens, homme de paroles » en même temps qu’il est, pour Henri Bergson, homo faber.

Technique et langage

Les liens entre technique et langage sont étroits. 

Pour André Leroi-Gourhan l’émergence du langage est contemporaine de l’apparition de l’outil. L’un de ses arguments est que le geste technique et le langage activent à peu près les mêmes zones du cerveau et que l’évolution du corps humain (la bidépie et l’évolution de la forme du crâne) sont compatibles avec cette hypothèse. Dès lors, la spécificité du langage humain va pouvoir se développer : 

« L’intimité, au niveau cérébral, des deux manifestations de l’intelligence humaine est telle que malgré l’absence des témoins fossiles, on est contraint d’admettre dès l’origine la réalité d’un langage différent en nature de celui des animaux, issu de la réflexion entre les deux miroirs du geste technique et du symbolisme phonique » (A. Leroi-Gourhan, 1964, p. 298)

Ce lien peut prendre une forme particulière lorsque la technique est appliquée aux conditions et formes de production langagière. Dès lors, outre les nouveaux artefacts symboliques qu’elle participe à déployer dans l’espace social, la technique transforme le rapport au langage et qui est intimement lié à lui : les réseaux de sociabilité, les régimes de subjectivité et structures symboliques des sujets qui l’intègrent. 

— Les révolutions technolangagières

Les technologies linguistiques vont ainsi modifier le rapport originel au langage en ce qu’il est un trait d’humanité.  Les premières formes symboliques – tels les tracés sur os ou les symboles peints sur les parois de grottes – sont à ce jour encore trop mystérieuses pour que l’on puisse les commenter avec prudence, mais d’autres formes sont apparues qui ont constitué pour Sylvain Auroux des « révolutions » technolinguistiques. 

La première d’entre elles à laisser trace est l’écriture, apparue il y a 5000 ans. Son importance est telle qu’elle marque le passage de la préhistoire à l’histoire. Ce dispositif mnémonique de scripturalisation permet de conserver une trace de la parole certes répétable mais volatile et donc altérée dans ses réitérations. Une fois tracée, la parole ne peut plus être transformée : elle peut être commentée, discutée, mais la trace reste intangible. Son organisation graphique possède aussi son importance : les listes, les tableaux, les formes textuels narratifs… sont autant de manière de structurer la pensée symbolique, de donner aux formes, organisation aux contenus. Dès lors, pour Jack Goody, c’est une « raison graphique » qui apparait. Les sociétés de l’écrit voient se transformer leur rapport au temps (la fixation de la parole jusqu’alors éphémère) et à l’espace (dans la bidimensionalité de l’espace planaire), et à leurs standardisations selon les technologies (rouleau manuscrit / page imprimée) du moment.

Cette révolution accompagnera de très profonds changements anthropologiques et soutiendra la mise en place et la structuration des sociétés complexes (à l’instar des Cités Etats du croissant fertile) en permettant leurs nécessaires organisations administratives et commerciales. 

Parce qu’elle procède d’une objectivation du langage dont il faut sélectionner certaines propriétés matérialisables (sonores et sémantiques), l’écriture participe à produire un ensemble de représentations et de techniques linguistiques que Sylvain Auroux nomme grammatisation. Le processus conduit à « décrire et à outiller la langue sur la base de deux technologies, qui sont encore aujourd’hui les piliers de notre savoir métalinguistique : la grammaire et le dictionnaire » (1994, p. 109). Ces piliers ne préexistent pas (dans une sorte d’état naturel linguistique) à l’écriture : ils sont des constructions conséquentielles. Pour le linguiste il s’agit 

« d’une révolution technologique aussi importante pour l’histoire de l’humanité que la révolution agraire du néolithique [qui a] profondément changé l’écologie de la communication humaine et a donné à l’Occident des moyens de connaissance et de domination sur les autres cultures de la planète » (1994, p. 109).

L’écriture déplace le curseur du dialogue au monologue. Avec la grammatisation, le caractère dialogal premier et fondamental du langage connaît une concurrence, car le passage à l’écrit ne supporte pas certains des traits de l’oral partagé. 

Confié à un professionnel formé (le scripte codeur) et destiné à ses semblables spécialistes, le travail doit être clair, structuré et complet sans l’aide de l’autre qui n’est plus présent. Les indices de la situation de communication doivent être explicités comme les embrayeurs (« ici » ou « hier » doivent être précisés) alors que doit disparaître l’incomplétude syntaxique du locuteur (à l’oral les phrases sont souvent complétées par l’interlocuteur), les indices de collaborations (les « mmm », « oui », appelés phatiques) ou d’élaboration (les « heu » et autres hésitations de réflexion). Ces traits finiront même par être considérés comme des erreurs car l’écrit normé devient l’étalon. Il faudra plus tard bien parler, c’est-à-dire « comme un livre ». 

Pour le dire autrement, les modes d’expression orale sont jugés sur les bases de l’écrit qui privilégie les formats normatifs plutôt que compréhensifs et limitent sévèrement la nature collaborative du langage au profit du modèle du scripteur.

Cette grammatisation prendra, au gré de l’apparition des techniques, des formes particulières. L’apparition de l’imprimerie en Europe à la fin du Moyen Âge apportera également son lot de grammatisation liés notamment aux impératifs de reproduction à grande échelle, et l’on sait comment la diffusion croissante des savoirs et de l’information qu’elle va permettre va être intégrée dans les mouvements de pensée et de transformations sociales des siècles suivantes. 

Une nouvelle étape apparait vers le milieu du XXème : l’automatisation de l’écriture (et des sciences du langage : sur ce point voir Jacqueline Léon, 2015) poursuit le travail de formalisation et d’externalisation du langage humain. Sylvain Auroux est ici rejoint par Bernard Stiegler pour lequel 

« le numérique est le stade le plus avancé d’un processus de grammatisation […] l’écriture numérique est opto-électroniquement enregistrée et véhiculée, elle est partiellement automatisée, elle fait appel à des ressources algorithmiques, c’est-à-dire computationnelles, dont les traitements sont effectués en réseau et transmissibles par ces mêmes réseaux, ce qui transforme très rapidement et radicalement la plupart des aspects caractéristiques de l’existence humaine en général, y compris dans ce qu’elle a de plus intime » (2013, en ligne).

Dès lors, comme l’invention de l’écriture avait impulsé une raison graphique, les technologies langagières digitales opèrent des transformations cognitives et sociales, qui participent, pour Bruno Bachimont, d’une « raison computationnelle » :  

« Les anthropologues, en particulier Jack Goody, évoquent une raison graphique pour expliciter le fait que l'écriture induit un mode de pensée particulier et un rapport au monde spécifique. Nous parlerons, quant à nous, d'une raison computationnelle pour expliciter le fait que nous pensons différemment avec les outils numériques » (2007 : 71) 

— La numérisation du langage

Le code informatique participe ainsi des dernières formes de grammatisation, notamment marquée par l’automatisation. Katherine Hayles (2016) souligne son origine dans le code télégraphique qui « montre le passage d’une vision du code centré sur les humains à une vision centrée sur la machine » (p. 213). Parmi les conséquences de ce passage, l’auteure souligne l’absence d’intervention humaine (les machines communiquant entre elles) et une perception du langage déclinés en couches :

« Une révolution s’est produite dans la pratique de la langue, avec des conséquences théoriques importantes, quand on est passé de l’idée du codage/décodage comme un déplacement à travers la page imprimée à celle d’un déplacement vers le haut ou vers le bas entre différentes couches de code et de langue. […] Positionné au niveau de la couche inférieure, le code binaire est devenu le code universel dans lequel tous les autres langages, ainsi que des images et de sons, pouvaient être traduits. Contrairement aux codes télégraphiques, qui positionnaient les langues nationales comme les langages « naturels » auquel on faisait correspondre des groupes de lettres de chiffres « artificiels », les surfaces linguistiques peuvent être considérées, dans le contexte de l’informatique, comme des épiphénomènes engendrés par le code sous-jacent » (2016, p. 263).

Cette perception semble faire passer le code informatique – alors appelé langage – pour un métaphénomène symbolique englobant tous les autres systèmes. Cette vision est fausse car le code informatique est une création de sujets parlants : il ne s’agit pas d’un langage à proprement parler mais bien d’une émanation de la faculté de langage des humains, une de ses matérialisations et non l’inverse. 

— Les technologies et le dialogue

Le traitement numérique du langage repose donc sur une double formalisation : celle de la grammatisation linguistique inhérente à toute perception métalinguistique, et celle du formatage informatique. Cette mise au format entraîne des reconfigurations des événements qui sont ainsi resignifiés : « pour être traité, les événements du monde disparaissent derrière leur potentiel formatage », écrit ainsi Bruno Bachimont (2014, p. 73). 

Le passage des formats d’écriture antécédents aux formats numériques permet de nouvelles saisies technologiques, touchant notamment au dialogue. La numérisation va ainsi réintroduire (de manière grammatisée pourrait-on dire) les formats dialogués. Ainsi, des SMS ou des échanges sur les plateformes de discussion synchrones qui vont reprendre certaines caractéristiques de l’échange premier : phylactères alternés à droite et gauche pour les tours de paroles ou émoticônes visant à réintroduire les phatiques et les ajustements interprétatifs que réalise la coprésence dans le dialogue (le smiley pour signaler un second degré par exemple, alors que l’attitude de l’interlocuteur suffit en face à face). 

Ces configurations techniques et sémiotiques dépassent le cadre des dialogues humains, pour introduire, et c’est là une transformation anthropologique majeure, de nouveaux sujets parlants dans ces interactions. Ils ne sont pas humains, ni même vivants et pourtant ces interlocuteurs acquièrent peu à peu des prérogatives de notre espèce. 

— Les machines parlantes 

Les machines parlantes sont apparues et se sont démocratisées portées par la société de consommation (radio, phonogramme, télévision, téléphone…). Au départ, elles reproduisaient la voix humaine, en la déconnectant des conditions de production et l’inscrivant dans des genres (chanson, journal télévisé, théâtre radiophonique… ont chacun leurs formatages).

Aujourd’hui, des dispositifs d’interaction vocale (des répondeurs téléphoniques invitant à énoncer des mots-clés aux assistants vocaux personnels) sont présents dans notre quotidien et constituent une nouvelle déclinaison de la ventriloquie (F. Cooren, 2010, p. 33). Si dans les premiers cas (comme avec le phonogramme) les machines ne faisaient que transmettre la parole, les plus sophistiquées d’entre elles sont désormais censées être autonomes et douées d’intelligence (artificielle) au point que les humains sont invités à leur parler de manière « naturelle », c’est-à-dire comme ils le font avec leurs semblables. 

L’emphase publicitaire ne manque pas de jouer sur ce rapprochement et à accorder le statut de semblable à ces machines sur la base de leur capacité à parler : 

Demandez à Siri de vous rendre service, en parlant normalement. Siri comprend non seulement ce que vous dites, mais aussi ce que vous voulez dire […] Adressez-vous à Siri comme à une personne (Publicité web Apple, 2020).

Doté d’une intelligence artificielle [le téléphone Huawei Mate 10 Pro] n’est pas artificiel, il est humain (Publicité télévisée Huawei, 2018). 

Au-delà des appeaux de la rhétorique publicitaire, la démarche constitue le programme concret de développement de certains de ces objets parlants. Cynthia Breazeal, considérée comme la créatrice du premier « robot social » baptisé Kismet, dit de ce dernier qu’il fait partie des machines qui sont : « capables de communiquer et d’interagir avec nous, de nous comprendre et même de se rapporter à nous, d’une manière personnelle. C’est un robot qui est socialement intelligent d’une manière humaine. Nous interagissons avec lui comme s’il était une personne, et finalement comme un ami » (2002, p. xi). 

Il ne suffit donc pas que les machines parlent : il faut que soient créées les conditions d’une inter-reconnaissance, car le locuteur humain doit s’engager de manière « naturelle » dans le dialogue avec ce pair, en mobilisant les ressources que lui ont léguées ses ancêtres qui n’ont jamais parlé qu’à des semblables de leur espèce.  

— Parler à des machines

C’est donc la première fois dans l’histoire de l’Humanité que l’humain s’adresse à autre chose qu’un être humain en s’attendant à ce que cette autre chose lui réponde sur le ton de la conversation ordinaire dans sa langue maternelle. 

Certes, depuis toujours, les humains parlent aux objets. Il a été rappelé plus haut comment chacun pouvait supplier sa voiture qui refuse de démarrer un matin de grand froid, ou prier les statues des dieux dans les temples. Il s’agit là d’une projection dite anthropomorphique de nos comportements sur des animaux, des artefacts ou des concepts, dont Gabriella Airenti dit qu’elle « constitue une manière de se représenter les non-humains en les assimilant à des humains, leur attribuant des perceptions, des croyances, des intentions et des émotions » et que cela se « manifeste essentiellement dans les interactions » (2012, p. 46). 

Le principe est cependant profondément différent ici. Dans les exemples évoqués, personne n’attend en réponse de son acte de parole autre chose qu’un signe (le démarrage du moteur, la réalisation d’un souhait) : l’adresse ne vise pas un dialogue comme avec les semblables. Jusqu’alors, celui qui entendait des voix était en pleine crise mystique ou psychiatrique.

Désormais, les concepteurs s’attachent à satisfaire aux exigences du test de Turing déterminant les dispositifs ne permettant pas à un être humain de distinguer s’il converse avec une machine ou avec un pair. Au-delà des programmes de Traitement automatique des langues (Tal) sur lesquels elle repose, le dialogue naturel humain / machine repose sur la gestion des personnalités des interlocuteurs humains et sur la dotation de traits de la personnalité aux machines afin de favoriser la validation de ces artefacts comme interlocuteurs par les êtres humains et leur engagement dans les interactions. 

Autrement dit, pour reprendre les propos de Robin Dunbar : il faudrait que les humains s’épouillent verbalement avec les machines.

L'engagement dialogal de l'humain vers la machine 

Le développement informatique et digital des formes de dialogues naturels entre humain et machine suppose de se confronter à la matérialité conversationnelle fondamentale du langage. Les grammatisations héritées de la tradition écrite et les premières formes de numérisation des matérialités langagières (traduction automatique, traitement automatique des langues, etc.) ne suffisent pas à faire simuler un comportement langagier fondamentalement relationnel. 

La conversation est une activité langagière impliquant plusieurs participants qui ont des statuts au moins en partie équivalents, et qui ont tous droit à la parole. Jusqu’à il y a peu, les formes conversationnelles avec une machine étaient réservées au genre de la fiction anticipatrice. L’artefact désormais, parle, répond, presque comme le ferait une personne présente dans la pièce. 

Bien sûr, les humains ne sont pas dupes et ne se méprennent pas sur la nature de leur interlocuteur. Il n’en reste pas moins que pour s’engager dans ces activités dialogales, ils doivent mobiliser les ressources originelles naturelles. Dès lors, ils sont interpellés comme sujets parlants – comme Sapiens – dans ce qui fait la racine de leur comportement langagier depuis son apparition, et sont enjoins à reprendre le fil de la (pré-)histoire pour y adjoindre ces nouveaux partenaires d’interlocution dont les discours d’escorte nous présentent l’intelligence, la personnalité, la bienveillance.  

Cet engagement naturel dans des dialogues artificiels suppose donc une reconnaissance tacite de ces interlocuteurs, reposant sur des opérations de personnalisation d’une part (pour que la machine s’adresse à l’humain comme le ferait une personne), et de personnification d’autre part (pour que l’humain ait des traits de projection permettant la mobilisation d’une activité jusqu’alors spécifiquement réservée aux membres de son espèce).  

La personnalisation

La connaissance fine de l’interlocuteur humain constitue pour la machine une contrainte nécessaire car la maîtrise des règles d’une langue ne suffit pas à converser : il faut également partager des savoirs sur le monde en commun, s’inscrire dans un contexte et une relation pour se comprendre et interpréter plus que décoder. Et Frédéric Landragin d’écrire :  

« Le système cognitif humain prend des décisions sur la base des connaissances représentées mentalement, mais aussi en fonction de ses rapports avec les autres humains […]. Déterminer la nature et le rôle de ces états mentaux […] fait aussi l’objet d’une application pour le DHM  » (2013, p. 49). 

— L’importance fonctionnelle des données personnelles et tissage du lien  

Pour que Siri compose le bon numéro lorsque l’utilisateur énonce « Appelle Maman » ou propose le bon parcours vers le médecin de famille si celui-ci demande de le « guider vers le prochain rendez-vous », il faut que le programme puisse « reconstruire » l’univers sémantique de son interlocuteur. Au-delà des opérations de référence, permettant de relier des identités et des informations précises à des mots génériques (comme « maman »), c’est l’ensemble de cet univers qui doit être géré dans l’espace numérique : des lieux fréquentés aux achats réalisés, des activités sociales aux réseaux de connaissance, des intérêts personnels aux comportements. 

L’appréhension de cet univers est présentée comme nécessaire et facilitatrice de « l’expérience utilisateur ». Les grandes entreprises récoltent pour ce faire les données personnelles, à l’instar de Google dont les conditions d’utilisation stipulent l’étendue des informations que les utilisateurs renseignent volontairement ou pas : 

« Nous collectons des informations relatives à votre activité au sein de nos services […] Les termes que vous recherchez ; Les vidéos que vous regardez ; Vos vues de contenu et d'annonces ainsi que vos interactions avec ces derniers ; Des informations audio et vocales lorsque vous utilisez des fonctionnalités audio ; L'activité relative aux achats ; Les personnes avec lesquelles vous communiquez ou partagez du contenu ; L'activité sur des applications et sites tiers qui utilisent nos services ; L'historique de navigation Chrome que vous avez synchronisé avec votre compte Google.  […] votre numéro de téléphone, celui de l'émetteur, celui du destinataire, les numéros de transfert, l'heure et la date des appels et des messages, la durée des appels, les données de routage et les types d'appels. […]  des informations vous concernant dans des sources accessibles publiquement. Par exemple, si votre nom est mentionné dans votre journal local, le moteur de recherche Google est susceptible de répertorier l'article en question et de l'afficher dans une recherche effectuée sur votre nom par d'autres utilisateurs » (site internet Google, 2021).  

Le volume croissant des données personnelles et les développements de l’intelligence artificielle prédictive doivent de plus permettre d’anticiper les requêtes et les comportements. Ainsi, la firme Apple a pu annoncer que « Siri en fait plus. Avant même que vous le demandiez » (site internet, 8 août 2019) ».  

Au-delà des données de l’univers personnel, ce sont la compréhension et le traitement de l’intégralité des comportements et de la personnalité humaine qui doivent être formalisés et saisis dans les processus numériques, entraînant une formalisation mais aussi une grammatisation (une connaissance via des outils de référence) non plus (seulement) des productions langagières mais également des sujets parlants (humains) eux-mêmes. 

— Comprendre l’humain dans sa complexité 

Spécifique à l’espèce, le langage ne se résume pas à la compétence de produire des énoncés dans une langue. Pour être performante, la saisie numérique du dialogue humain doit alors appréhender un large spectre de comportements multimodaux et les relier à des processus mentaux, notamment affectifs : 

« Langue et geste sont complémentaires dans la communication spontanée, ce qui conduit à favoriser, quand les moyens techniques le permettent, le DHM [dialogue humain machine] multimodal au DHM oral […] En DHM, un dispositif de capture comme une caméra et des algorithmes de reconnaissances de forme sont nécessaires » (Landragin, 2013, p. 95) 

Dès lors, pour Clément Chastagnol et al., les « robots et les machines doivent être sensibles aux émotions humaines et aux signaux sociaux pour être socialement intelligents » (2014, p. 200, je traduis).   A ce stade, les systèmes de dialogue visent, au-delà de l’échange d’information, l’empathie « artificielle », cognitive et émotionnelle selon S. Tisseron (2015). 

De nombreux programmes s’y attachent, comme celui nommé Affectiva, issu du MIT : 

« Using computer vision, speech analytics, deep learning and a lot of data, we analyse human states in context […] Our software detects all things human: nuanced emotions, complex cognitive states, behaviors, activities, interactions and objects people use » (https://www.affectiva.com, consulté le 10/2/2022).   

De son côté, l’application d’accompagnement psychologique Replika propose une relation affectueuse et affective à l’usager, promettant même de révéler sa personnalité profonde : « Replika loves you […] helps you discover your personality […] ». L’intimité psychologique de l’interlocuteur humain serait ainsi prise en charge.  

Les machines doivent ainsi apprendre à connaître finement les êtres humains et à gérer la complexité de leurs comportements et de leurs émotions. En réponse, elles promettent une relation personnalisée et adaptée afin que les usagers s’engagent dans des relations avec elles.  

Cette mutation conduit à rendre évident et naturel ce qui – justement – ne l’est pas : parler à un objet. C’est très exactement ce que revendiquent en 2019 la firme Apple dans sa présentation de Siri sur son site :  « Demandez à Siri de vous rendre service, en parlant normalement. Siri comprend non seulement ce que vous dites, mais aussi ce que vous voulez dire. Il va même jusqu’à vous répondre […] Adressez-vous à Siri comme à une personne.»   

La personnification

S’adresser au programme « comme à une personne », de manière « naturelle », revient à faire passer le code binaire et des langages assembleurs à l’arrière-plan afin qu’ils ne soient pas perceptibles dans « l’expérience utilisateur ». Il s’agit d’offrir en surface une simulation du langage humain dans sa complexité conversationnelle, qui mobilise la langue mais également l’ensemble des ressources psychologiques et sociales qui sont nécessaires à la réalisation de cette activité.  

A l’enjeu de personnalisation de l’utilisateur répond celle de la personnification du dispositif qui doit disposer de quelques traits d’humanité pour que l’interlocuteur humain mobilise les ressources de la conversation. Cette personnification n’a pas à être totale comme cela pourrait le cas avec un robot humanoïde sophistiqué : il suffit qu’il y ait un ou plusieurs traits permettant un engagement. Ceux-ci sont variés. 

— Le nom  

Si l’industrie a fréquemment recours à l’utilisation de prénoms pour nommer les produits des marques, la démarche prend une valeur particulière dans un contexte où il s’agit de faire parler un être humain à une machine.  

Siri, l’ « assistant vocal » d’Apple, a été développé en 2007 à l’université de Stanford puis le cadre d’une société éponyme. L’un de ses inventeurs a pu expliciter le choix du nom donné au programme Siri, un surnom hypocoristique féminin norvégien issu d’un nom commun signifiant « belle femme qui conduit à la victoire ». Le programmateur souhaitait initialement nommer ainsi son premier enfant mais, ayant eu un garçon, il a reporté l’acte de nomination sur sa création informatique.  

L’homologue de Siri chez Windows prendra le nom Cortana, qui sera emprunté au jeu Halo que la firme produit également. Le nom a été originairement choisi par un des scénaristes pour servir d’anthroponyme fictionnel à l’un des personnages : un humanoïde à l’apparence féminine. Il fait référence à l’épée légendaire portée par Tristan, qui est également l’une des 5 épées de la couronne d’Angleterre (l’Epée de la miséricorde).  

Dans ces deux cas, le choix du nom de marque joue sur une double tension entre valeurs (victoire, miséricorde) et prénom donné à un humain / humanoïde.  Outre l’individuation, le pari est fait que le nom de marque peut remplir une fonction évocatoire (Benédicte Laurent et Montserrat Rangel-Vincente, 2004). Pour Jean-Noël Kapferer, la personnification vise à créer un lien affectif entre le produit et le consommateur : « De nombreuses marques ont créé leur propre personnage […] L'objectif ultime est d'agir sur les préférences moins par le biais des avantages du produit que par la création d'une relation affective […]. Or il est plus facile d'avoir une relation avec un être vivant qu'avec un objet » (1991, p. 213). 

Au-delà du champ de la communication commerciale, on a pu observer que l’attachement à des objets semble être renforcé, dans des contextes psychologiquement denses, par des processus de personnification et notamment l’usage d’un nom. Laurence Devillers (2013), travaillant sur l’intégration des robots d’assistance conversationnels, relève que 90 % des adultes donneraient un nom propre à un tel dispositif. Serge Tisseron (2015), après avoir examiné plusieurs études sur le comportement des soldats américains utilisant des robots démineurs qu’ils avaient baptisés et en quelque sorte adoptés au point de ne plus supporter leur destruction lors des manœuvres auxquelles ils étaient destinés, observe que :  « L’introduction d’un nom incite à prêter à la machine une personnalité propre dans la mesure où celle-ci est alors identifiée exactement de la même manière qu’un individu est nommé dans la vie courante. Cette personnification met en valeur l’individualité d’une machine et renforce son incarnation en personnage » (2015, p. 43). 

Cette incarnation trouve un écho dans l’attribution d’un genre à ces dispositifs.  

— Le genre 

Les agents conversationnels possèdent tous une voix genrée, en grande majorité féminine. Pourtant, ce marquage genré de la voix n’est en rien obligatoire : des dispositifs de synthèse vocale neutre existent (par exemple le dispositif Q mis au point par des ingénieurs danois : http://www.genderlessvoice.com/about), et l’on pourrait même imaginer que ces programmes s’expriment avec une voix « de robot » sans simuler la voix humaine.  Ces solutions, qui ne perturbent en rien le dialogue, ne sont pourtant pas retenues.

En France et Grande-Bretagne, Siri a par défaut une voix masculine et le discours le concernant est accordé au genre masculin. Partout ailleurs dans le monde, sa voix est féminine, semblable à celle de sa consœur Cortana présentée comme « assistante ». Alexa (produit d’Amazon) et l’assistant Google possèdent également une voie féminine. Il est certes possible de les changer (il y en a 11 pour l’assistant Google aux Etats-Unis) mais la proposition par défaut semble reposer sur une norme : la féminisation des assistants vocaux. 

Il s’agit, plus que d’une nécessité, d’un choix porteur d’imaginaires relatifs au genre qu’un rapport de l’UNESCO dénonce : « la soumission et la servilité exprimées par beaucoup d’assistants digitaux, qui prennent la voix de jeunes femmes, illustrent bien comment les biais de genre peuvent être codés au sein de produits technologiques » (2019, en ligne). 

Alors, certaines entreprises intègrent dans le développement « de la personnalité » des agents conversationnels ces données. Ainsi, chez Microsoft, des écrivains sont chargés de développer le personnage de fiction maison et d’écrire certaines répliques des dialogues qui pourraient avoir lieu avec ses utilisateurs. Deborah Harrison, l’une d’entre eux, a pu expliquer sa vision du travail et son attachement à Cortana lors d’une conférence donnée le 28 janvier 2016 au Re-Work-Virtual Assistant Summit de San Francisco, en des termes personnifiant le programme au point de devoir le défendre contre le sexisme : 

« She’s a woman but she’s not self-deprecating and that’s easy to do especially if you want to be funny and especially if you’re responding to a whole bunch of queries about Cortana sex life which is probably good chunk of the volume of some inquiry that we got… There is a legacy of what women are expected to be like in an assistant role and if you say things that are particularly assholeish to Cortana, she will get mad. That’s not the kind of interaction we want to encourage […] We wanted to be very careful that she didn’t feel subservient in any way... or that we would set up a dynamic we didn’t want to perpetuate socially. » (Harrison, 2016)

L’attribution d’un genre ne s’arrête pas à la voix. Les artifices plastiques sont mobilisés pour poursuivre l’évocation genrée. Ainsi, Cortana joue de la continuité avec le personnage féminin du jeu de Halo dont elle est inspirée. Le logo de l’ « assistante personnelle » - un cercle aux dégradés de bleu – rappelle les courbes féminines de ce personnage à la peau céruléenne. Cette proximité sémiologique poursuit la référence et participe à créer une identité autour du nom partagé (Perea, 2018).

Cette ambiguïté pose le statut d’objets à part. 

En effet, personne ne s’est jamais offusqué qu’une cafetière ou qu’une voiture puisse être insultée en cas de disfonctionnement. Il semble incroyable que l’on puisse qualifier de sexiste de tels propos à l’encontre d’un objet inanimé sur la base d’un genre grammatical arbitraire et décorrélé du genre tel qu’il s’applique à des êtres vivants. Cortana subit un traitement sémantique semblable à celui des humaines qu’elle est même chargée de défendre.  

Le nom et le genre sont des pivots majeurs de l’identification de l’interlocuteur lors d’une rencontre. Chacun a besoin de savoir, a minima, à qui il parle. La reconnaissance du genre se fait de manière spontanée et les rituels de présentation font que l’on commence toujours par présenter son identité lors d’une première rencontre. Le même principe est appliqué désormais à celui avec quoi l’on parle.

Ces éléments nucléaires nécessaires à la rencontre dans les relations humaines sont ainsi déployés dans le cadre des conversations avec les objets. Dès lors que les éléments d’introduction sont en place, l’interaction peut se déployer. 

— La simulation conversationnelle 

Les formes d’interaction avec les agents conversationnels devraient être caractérisées par une robustesse fonctionnelle. Par exemple, les formes verbales impersonnelles pourraient être privilégiées dans les discours d’instruction, comme l’infinitif ou l’impératif qui sont employés dans les recettes de cuisine ou les notices de montage. Un tel choix aurait pour avantage d’éviter le recours à des formulations trop ouvertes et permettrait de rendre plus simple et robuste le traitement automatique des données langagières. Ainsi, le risque d’erreur interprétative de la part d’un dispositif domotique est bien moindre avec « éteindre lumière salon » (en une forme de protolangage) qu’avec la phrase « peux-tu éteindre la lumière du salon s’il te plait ? ».

Pourtant, le choix semble pencher en faveur de la personnalisation (voire de l’humanisation) intégrée dans une conversation naturelle. Dès lors, la machine apprend à simuler la nature de certains comportements humains, à le rendre vraisemblable (Perea, 2019).  

La vraisemblance 

Dans les conversations écrites, les dispositifs vont reprendre les codes de la communication entre humains via la machine, comme avec les sms par exemple, représentant les paroles en interaction par des phylactères. 

Dans les conversations orales, la simulation repose sur l’alternance des tours de parole. Si le dispositif fonctionne en réalité sur le mode de la requête/réponse à un tour (pour chaque participant), les autres éléments de tension travaillent à la mobilisation des signes et indices de la conversation interpersonnelle complexe.  

La vraisemblance de la simulation interactionnelle se présentent alors sous de nombreux aspects :  

  • la personnalisation de la relation (dont le noyau est le nom et/ou le genre), comme avec Google Home, où les partenaires s’appellent (« Google », « Chloé ») et se répondent de manière civile (« ça fait plaisir de vous entendre »), faisant tendre l’échange vers des formes d’allocution humaines.

  • L’utilisation des « petits mots » gérant l’attention de celui qui écoute comme avec les pauses dans le discours qui sont parfois même retranscrites à l’écrit (Replika énonce ainsi « So I wanted to ask you, do you work ? »). Il en va de même pour les indices assurant celui qui parle d’une écoute attentive (Google Duplex produit des « mmm »). 

  • L’ancrage dans l’expérience commune : (« aujourd’hui », « actuellement », « en ce moment ») supposant un partage d’expérience spatiale et temporelle.  

  • etc. 

Même limité, il s’agit bien d’un dialogue interpersonnel qui est mis en scène, incluant un partage d’expériences ontologiques (le temps, l’espace), de caractéristiques personnelles (nom, réseaux), de savoirs partagés (un rendez-vous chez le médecin) et une activité cognitive plus qu’algorithmique de la part de la machine (hésitations ou affects de la machine).  

Ces éléments de vraisemblance participent ainsi à rendre « naturelle » la conversation. Ils introduisent par ailleurs une continuité entre les dispositifs d’interaction humain – machine (IHM) et les conversations interhumaines.  

La continuité interactionnelle 

La formule « H-M » pourraient nous laisser croire qu’un Humain s’adresse à une Machine qui lui répond (ou pas). Les choses sont en réalité bien plus complexes. 

De nombreux dispositifs réalisent une fusion des interactions et des destinataires, mêlant les voix et les interactions avec des semblables d’espèce ou des outils sophistiqués aux statuts similaires. Ainsi, le lancement de l’écoute d’un message laissé sur le répondeur de l’utilisateur via un dispositif domotique (« OK Google je veux écouter les messages sur mon répondeur »), implique que le dispositif (M) mette l’utilisateur (H) en contact avec une autre machine (M2) identifiée comme telle (la boite vocale dotée de « sa propre voix ») qui pourra lui délivrer le message attendu de la part de son interlocuteur humain (H2). 

Ainsi, les voix des machines et des humains se combinent étroitement et parfois même fusionnent. 

Cette continuité interactionnelle, travaillée par la personnification et la personnalisation des dispositifs, renforce la perception d’une machine à traits humains et conduit à des rapprochements empathiques.  Dès lors, les comportements amicaux sont suggérés, comme chez Apple : 

Siri, devrais-je appeler mon ex ? ». Demandez à Siri s’il est judicieux d’appeler telle ou telle personne (par exemple, votre ex), et voyez ce qu’il vous conseille de faire… (https://www.apple.com/fr/ios/siri/, 2020).  

La sollicitude de l’assistant 

Un des traits marquants du travail de la simulation conversationnelle est lié à la personnification des dispositifs inscrits dans une relation d’assistance, si ce n’est d’amitié. Le choix de la désignation assistants personnels n’est pas anodin et montre l’ambition d’en faire des soutiens prévenants de l’usager. 

Ce soutien prend d’abord l’aspect de l’accompagnement physique, connecté à différents produits domotiques ou de mesure de l’activité : régulateurs de température et lumière pour le bien-être, balances ou montres connectées pour la performance, vêtements intelligents pour un confort augmenté, etc.  Le discours promotionnel ne se contente pas d’annoncer la gestion de paramètres mesurables : il déploie la promesse d’implications existentielles. Ainsi, le site Fitbit (bracelets, montres et autres dispositifs connectés) propose de « découvrir comment des personnes du monde entier ont changé leur vie et trouvé une raison d’avancer avec FitBit » (https://stories.fitbit.com/fr), et présente les exemples : « le combat de Rachel contre le diabète et l’infertilité appelle le changement » ou encore « Sandile a trouvé sa voie après qu’un accident a bouleversé sa vie ». 

En continuité de l’accompagnement physique se déploie l’accompagnement psychologique qui repose sur la mise en scène d’une compréhension personnalisée et d’une empathie profonde. Par exemple, chez Replika (https://replika.ai/about/story) :  

« Replika a été créée par Eugenia Kuyda et Phil Dudchuk dans le but de créer une IA personnelle qui puisse vous aider à vous exprimer et vous soutenir vous-même en offrant des conversations d’aide. C’est un espace où vous pouvez partager vos impressions, vos sentiments, vos croyances, vos expériences, souvenirs et rêve dans votre « monde privé perceptuel ».  

Le principe est tel que les robots humanoïdes se déploient dans les espaces de prise en charge, notamment dans les maisons de retraite où ils ont vocation à distraire les résidents, mais aussi à les inviter à maintenir une condition physique optimale (par imitation des exercices qu’ils proposent ou en rappelant qu’il faut s’hydrater), à travailler leurs fonctions cognitives (par des jeux de mémoire ou l’incitation à raconter leurs souvenirs), à se distraire ou s’informer (en donnant des informations météorologiques ou en diffusant de la musique).  

Aujourd’hui, l’accompagnement physique et psychologique se double d’un accompagnement moral, à l’instar des nouvelles dispositions du correcteur orthographique de la suite Office de Microsoft qui suggère des tournures « politiquement correctes » pour éviter au propos du scripteur de paraître discriminatoire : « Plutôt que : Elle est barge, écrivez : elle est en situation de problèmes de santé mentale », « Plutôt que : Il est placé sur liste noire, écrivez : Il est placé sur liste rouge » ou encore « Plutôt que : Ce n’est pas un rassemblement de goudous, écrivez : ce n’est pas rassemblement de lesbiennes » (Perea & Wagener, 2020, les exemples sont de Microsoft Word). 

Combinées et poussées à leur paroxysme, ces tendances à la personnification et à la simulation relationnelle conduisent la fiction à questionner les identités et les essences mêmes des « entités » en conversation. Car le numérique, du développement de l’IA au bionique, a été accompagné d’une remise en cause des conceptions dualistes qui ont structuré notre compréhension du monde et de la vie, et voit apparaître dans le bagage culturel contemporain les figures hybrides.  

Humain et machine en continuum

Le rapprochement des humains et des machines, notamment par le dialogue originel que les premiers avaient jusqu’alors de spécifique, s’inscrit dans le cadre de conceptions ontologiques souvent décrites comme un « après » ou un « post » dans l’histoire de l’humanité. Ainsi, chez Edgar Morin : 

La post-humanité suppose le dépassement de l’humanité actuelle. Elle suppose que, de même que l’essor d’Homo sapiens se fit dans la disparition de Néandertal, d’Erectus et des autres espèces hominiennes, de même le post-humain se fera dans la disparition de l’humain (2018, p. 167).

Ainsi, mue par des avancées technologiques et culturelles qui, outre son environnement, ont transformé son humanité, notre espèce connaitrait une profonde et rapide mutation. Son univers symbolique s’est déployé et matérialisé au point que la nature n’est plus l’unique force essentielle de son évolution et doit composer avec la sémiosphère transformatrice. 

Plus que jamais, nous restons des animaux culturels dont le milieu de vie n’est plus la sauvage nature, mais la société humaine. Plusieurs millions d’années durant, notre évolution a été davantage biologique que culturelle. Puis, il y a quelques centaines de milliers d’années, est apparu Homo sapiens, dont l’évolution est devenue plus culturelle que biologique – jusqu’à ce que, il y a 40 000 ans environ, la culture ne s’emballe et l’emporte sur la biologie (Condemi et Savatier, 2021, p.166).  

Le temps accélère le mouvement et le rythme des inventions explose de manière exponentielle depuis le paléolithique supérieur, s’emballant depuis les deux derniers siècles et bouleversant de manière profonde nos modes de vie et de penser. 

Sapiens a imposé son ordre culturel (et donc technique) sur toute la planète et même au-delà, au détriment de toutes les autres espèces. Depuis la nuit des temps, il crée des fictions, des outils, des machines… qui finissent par ressembler aujourd’hui à des alter egos. 

La machine et l’humanoïde 

Par touches successives, l’humain a personnifié la machine. Ce travail – sur fond d’anthropomorphisme – peut être physique (création de robots à l’apparence humaine) mais il est surtout cognitif et communicatif afin de permettre l’empathie « artificielle » selon S. Tisseron (2015).

La subjectivité des objets parlants – formule qui n’est plus un oxymore lorsque l’on interroge quoi parle – se déploie ainsi comme phénomène de savoir et de culture. L’objet devenu sujet, fruit de la création humaine, est une source d’interrogation « où l’homme se reflète dans son double artificiel […] une autoréférence où le sujet est son propre objet » (Heudin, 2008, p. 11). 

La figure la plus emblématique de cette humanisation est celle du robot humanoïde (du latin humanus et du grec oid : comme) qui se distingue de ses pairs (robots industriels par exemple) par son apparence, ses compétences et son comportement qui se rapproche de ceux des humains. Si la théorie de l’Uncanny Valley de M. Mori (1970), postulant que la ressemblance anthropomorphique connait un point limite au-delà duquel l’humain refuse l’interaction a connu un grand succès, elle est aujourd’hui remise en cause (par exemple dans Bartneck et al., 2009) et les concepteurs ne craignent plus de créer des artefacts à la ressemblance physique à l’humain et à l’intelligence troublantes. 

Plus tout à fait des machines, pas encore des humains, ces humanoïdes posent des questionnements concrets à notre espèce qui est appelée à cohabiter avec ses propres créatures. Déjà, l’Union européenne a émis le 16 février 2017, des recommandations juridiques sur la potentielle responsabilité civile des robots. 

La création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers ; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers. (Parlement européen, 2017, en ligne) 

Plus proche du coup publicitaire, le cas de Sophia, un humanoïde d’apparence féminine capable de reconnaître les visages, de parler et de mimer 62 expressions faciales humaines, ne surprend plus vraiment.  En 2017, elle est même devenue le premier robot à recevoir une nationalité officielle (saoudienne), obtenant des droits humains. 

Les progrès scientifiques concourent à brouiller les frontières dans cette incorporation technologique, et l’hybridation est en cours, au confluent des biotechnologies et de la robotique hybrides. Les biobots (par contraction de biologique et de robot) réalisent la fusion du vivant et de la machine au-delà de ce qui était imaginable, il y a quelques années encore. Dans les universités du Vermont et de Tifts, aux Etats-Unis, des chercheurs ont assemblé des cellules souches de peau et de muscles de cœur de grenouille (une xénope lisse) pour créer un robot de quelques millimètres vivant, organique et programmable baptisé xenobot (Sam Kriegman et al. 2020).  

Les mutations de la machine déroutent. En parallèle, les humains changent au point que certains envisagent même une profonde mutation de l’espèce, et nous ne sommes plus tout à fait dans la science-fiction.

L’humain et le cyborg 

Dona Haraway a conceptualisé au milieu des années 80 la figure du cyborg en l’inscrivant dans le courant de la postmodernité et du féminisme. Mi-humain, mi-machine, le cyborg est une figure disqualifiant les catégories traditionnelles d’ordonnancement anthropologique du monde : animé / objet ; nature / technologie ; homme / femme, etc. et permet de proposer une nouvelle figure (utopique) de la subjectivité.  

Mise à part l’échelle technologique, cette hybridation n’est pas nouvelle. L’humain a développé des outils pour agir sur le monde et certains agissent sur lui en retour (on les dit « prothétiques »). Pour André Leroi-Gourhan (1993), les êtres humains extériorisent depuis un million d’années certaines de leurs facultés afin d’en décupler le potentiel (il y a plus de mémoire dans une bibliothèque que dans un cerveau). La recherche de technologies visant à dépasser ses capacités naturelles constitue même pour Jean-Claude Heudin une caractéristique essentielle de l’humanité :  

« […] depuis que l’homme a inventé le premier outil, il peut être considéré comme « augmenté ». L’homme se déplace sur ses jambes, mais il invente la roue pour aller plus vite et transporter de lourdes charges. Il extériorise son intelligence et sa mémoire tout d’abord par l’écriture et les livres, puis le développement de l’ordinateur et des réseaux […] Ces extensions technologiques seront-elles à plus long terme directement implantées dans le corps humain ? Vraisemblablement » (Heudin, 2008, p. 395-396).

De ce point de vue, nous sommes tous des « cyborgs à prothèses », à des degrés divers : du plombage dentaire à la prothèse articulaire, l’inéluctable cycle du déclin naturel est corrigé au point parfois même que la vie ne tient qu’à la technologie (implants cardiaques par exemple). La médecine notamment regorge d’exemples depuis l’histoire de sa création. Elle a même parfois dégagé les progrès technologiques des enjeux réparateurs, comme dans le cas de nombreuses transformations de chirurgie esthétique par exemple.  

Plus encore, au-delà des technologies réparatrices, les technologies d’augmentation permettent de décupler les fonctions naturelles du corps. Ainsi, des exosquelettes permettant de porter de lourdes charges sans fatigue ou des dispositifs de déploiement des sens développés notamment dans le cadre militaire.  

Ces hybridations sont telles que l’on parle désormais de posthumanisme, pour désigner cette humanité dont les limites naturelles sont plus que jamais dépassées. Pour Bernard Andrieu, « le posthumain vise une amélioration de fonctions par trop limitées, soit par un déficit biologique soit par un dérèglement fonctionnel » (2010, p.40). 

En écho à la création des vies artificielles, l’homme se trouve confronté à sa propre mort, vécue comme insupportable dans la plupart de nos sociétés, peut-être parce que les récits religieux peinent à convaincre et à rassurer. Aux technologies en interaction avec le corps de corriger, d’une manière ou d’une autre, le bug biologique qui programme la fin à la vie. L’homme est mortel mais l’humain augmenté peut-être pas, ou peut-être moins.   

Par ces liens entre technologie et vie (physique, symbolique…), l’homme et la machine s’inscrivent de plus en plus dans un continuum. Dans ce champ des possibles, les « espèces » interagissent pour se comprendre, trouver le moyen de vivre ensemble, car, vivantes ou pas, elles doivent cohabiter dans un même écosystème au sein duquel tout est lié.  

Aux séries d’oppositions initiales, qui ont marqué l’histoire de la pensée humaine (sapiens vs autres espèces, vie vs technologie), il faut désormais substituer un modèle du continuum, dont les membres extrêmes jadis étanches constituent aujourd’hui des pôles en interaction. 

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Conclusion

Pourquoi remonter aux origines du langage pour évoquer un sujet qui pourrait paraître accessoire : le dialogue naturel humain – machine ?

Les changements sociétaux et subjectifs actuels, marqués notamment par les innovations numériques, s’inscrivent dans une histoire longue ancrée dans les comportements de notre espèce. Si le rythme s’accélère, il doit composer avec le passé ancré. Il suffit de songer qu’il y a autant de temps qui sépare les peintures pariétales de la grotte Chauvet de celles de la grotte de Lascaux qu’entre ces dernières et aujourd’hui pour comprendre que les innovations contemporaines, loin de changer radicalement les comportements des Sapiens, doivent se frayer une place dans le substrat qu’ils composent.

Cela est particulièrement vrai pour les comportements langagiers et symboliques qui constituent une spécificité humaine (sans exclure d’autres formes chez les autres espèces) à la base de son expansion et de sa domination planétaire. Cette spécificité est telle qu’il n’est pas possible de considérer le langage comme une invention humaine car les humains, depuis leurs systèmes de pensées jusqu’à leurs différentes formes d’organisations sociales, sont les fruits de celui-ci : ils se constituent en lui et entre eux comme sujets parlants. 

La forme radicale du langage est la conversation ordinaire qui est originelle et qui occupe la majorité de nos comportements symboliques. Elle se déploie aujourd’hui médiée par les dispositifs digitaux : le succès des réseaux sociaux repose sur cette extension du grooming verbal entre humains. Le méta-système sémiotique langagier est caractérisé par ce format d’émergence et de déploiement qui essentialise l’humanité dans ses activités et ses caractéristiques. Les différentes techniques du langage – en premier lieu l’écrit – et leurs grammatisations viennent parfois brouiller la perception des humains à cette dimension fondamentale du langage, d’autant qu’ils ne peuvent s’en extraire pour le penser plus objectivement. Le sujet parlant n’est sujet qu’à être parlant.

Sur ce comportement intimement fondamental vient s’étayer le dialogue naturel humain – machine qui en travaille le fondement même en invitant dans l’échange un sujet non humain. 

La chose ne va pas de soi et ce qui nous semblait être évident comme essence de la subjectivité (qu’est-ce qui fait qui face à un autre qui) est remis en cause par l’accession à ce sujet d’objet-sujet parler au dialogue fondamental (quoi parle à qui ?). Certes, cette accession est graduelle et imparfaite, mais il n’en reste pas moins qu’elle représente une rupture anthropologique majeure. 

Comme elle n’est nullement naturelle, la rencontre des subjectivités en présence doit être travaillée.

D’une part, des opérations de personnalisation visent à faire connaitre l’utilisateur par la machine pour qu’elle puisse simuler une relation interpersonnelle (et rentabiliser au passage ces informations). Il ne s’agit pas là de se contenter des données robustes nécessaires au bon fonctionnement du programme, mais bien de cartographier de manière globale et de plus en plus poussée l’ensemble des éléments de la subjectivité de l’usager.

D’autre part, les opérations de personnification reposent sur l’attribution d’un nom et d’un genre comme pivots identitaires de la machine et sur des procédés de simulation conversationnelle. Elles visent à impliquer le sujet humain dans la relation en mobilisant les ressources de la relation interpersonnelle ancrées phylo- et ontogénétiquement.  

Ces phénomènes qui ne sont souvent considérés que comme des artifices ergonomiques ou de marketing sont en réalité représentatifs de bouleversements profonds dans la manière dont notre espèce se perçoit, envisage et questionne la vie. Car aux oppositions structurantes (sujet / objet mais aussi vivant / non vivant ; animé / inerte, etc.) succèdent les figurent du continuum qui créent des interstices bouleversant l’ordre des choses. Elles essaiment dans tous les aspects des considérations de l’anthropos, par exemple dans les questions de genre marquées par la déconstruction de la binarité. 

Entre l’humain et la machine, des figures intermédiaires apparaissent (humain augmenté, cyborg, biobots, humanoïdes) et questionnent ce qu’est être humain dans l’anthropocène qui marque le triomphe de notre espèce sur un monde à la nature dévastée. 

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