Traces, données et preuves en contexte numérique : quelles acceptions interdisciplinaires ?
Coordonné par Bruno BACHIMONT, Lise VERLAET et Pierre GANÇARSKI
Avec la généralisation de l’instrumentation scientifique numérique, nous avons vécu ces dernières décennies une spectaculaire évolution paradigmatique. En effet, le Web sémantique a en quelque sorte mis fin au paradigme inhérent aux bibliothèques et aux recherches documentaires pour laisser place aux recherches d’information, mais tend lui-même à être supplanté par le paradigme de la donnée. L’effervescence autour des mégadonnées et la résurgence de l’intelligence artificielle invitent à s’interroger sur le statut de ces données, la nature de leurs traitements, l’interprétation des résultats, et finalement leurs acceptions interdisciplinaires.
Les données sont souvent associées, entre autres, aux notions de trace et d’enregistrement. Une première difficulté est d’articuler ces notions, les disciplines ayant souvent des approches différentes en la matière. Une manière de faire est de considérer que la trace relève du système observé, dont on fait un enregistrement, ce dernier constituant la donnée qui sera analysée pour, par exemple, étudier le comportement du système observé. De ce point de vue, en tant qu’enregistrement des traces, les données peuvent être considérées comme des éléments de preuve et permettent de remonter à leurs origines et donc au système dont elles sont issues. Cette notion de trace fait ainsi désormais partie des concepts liés à la production, la gestion, la valorisation et la consommation des données, concepts sollicités tant par les sciences humaines et sociales que les sciences informatiques. Mais, au-delà de cette première vision, comment articuler donnée et trace ? Une donnée est-elle forcément fondée sur une trace ? Quelles interdépendances entre ces notions ? L’enregistrement, s’il convient de mobiliser cet intermédiaire, introduit-il un biais ? De quel type ? Altère-t-il la manière dont on peut interroger la donnée pour retrouver la trace et le système associé ? Ou, tout à l’opposé, faudrait-il considérer ces termes comme synonymes, leur appellation reflétant donc simplement des variations disciplinaires ?
L’objectif de cet appel est d’interroger ces relations et de les mettre en perspective dans le contexte des différentes disciplines. Et, au-delà de ces notions, en abordant leur exploitation et l’interprétation des processus associés, la question est aussi de comprendre comment les traces ou les données peuvent donner lieu à des preuves ou à des connaissances ?
Si les tensions entre ces notions sont somme toute classiques, elles prennent une intensité particulière dans le contexte numérique. Les traces peuvent être considérées à la fois comme une condition et un résultat de la numérisation de notre environnement et de nos milieux socio-techniques : les outils numériques nous amènent à produire à foison des traces dont on se saisit comme données. Il est donc pertinent d’interroger ce concept et d’en questionner l’intelligibilité, ce que cela signifie pour une chose que d’être une trace, et ce que cela sous-tend pour les procédés et traitements qui les exploitent. En particulier, chaque évolution du système observé peut influer sur les traces qu’il produit, voire en produire de nouvelles. Leur capture constitue-t-elle une nouvelle donnée ou une modification de la donnée existante ? De fait, comment relier des traces et ces données ?
En contexte numérique la reconnaissance des traces est en outre d’autant plus problématique que l’on ne sait pas nécessairement et véritablement ce qui aura de l’intérêt et donc une utilité dans le futur. En filigrane, ceci pose la question des enjeux et objectifs corrélatifs aux traces et à leurs usages. Les développements socio-techniques associés au paradigme de la donnée n’en sont qu’à leurs balbutiements, à l’instar des différentes formes d’exploitations possibles des traces. Ne sachant quelles seront les traces intéressantes à capter, enregistrer, archiver pour en permettre une réutilisation, comment concevoir la pérennité des données et de leurs traces ? Doit-on tout conserver, quand cela s’avère possible, sachant les coûts écologiques et financiers des entrepôts de données ? Si, par acquis de conscience, la décision consiste à tout garder en mémoire virtuelle de sorte à ce qu’elle reste mobilisable en tout temps et tout lieu, comment satisfaire au droit à l’oubli ? Comment garantir l’anonymat des acteurs du cyberespace alors même que l’étude de leurs traces d’activités permettent aisément de découvrir leur(s) identité(s) ?
Ces questions ne sont donc pas anodines et se posent d’autant plus vivement que les notions de traces et de données sont essentielles pour conférer aux traitements qui les mobilisent le statut de preuve ou d’argument : quelle confiance avoir en un résultat produit à partir des données et des traces ? Quelles conditions ces dernières doivent-elles remplir pour asseoir cette confiance ?
Par conséquent, cet appel entend explorer dans la perspective de l’intelligibilité du numérique, la nature des données, leur relation à ce qu’elles représentent et aux traces dont elles peuvent être la capture, pour éclairer la valeur épistémique, pratique, probatoire et argumentatif des résultats qu’elles permettent de produire.
Liste non-exhaustive des thématiques à considérer pour cet appel à articles
- Évolution paradigmatique et réminiscence des formes
- Caractéristiques et reconnaissances des traces
- Instrumentation scientifique numérique : des traces aux données
- Pérennisation : Des flux de traces aux flux de données...
- Reproductibilité : reproduire les traces pour reproduire les données...
- (Re)Configurations méthodologiques inhérentes à l’instrumentation scientifique numérique
- Confiance et enjeux des traces et des données
- Prédiction des pratiques et usages des traces
- Éthique de l’exploitation des traces
- ...
Calendrier de publication
- Février - lancement de l’appel
- 12 avril 2021 - dépôt des propositions de résumé
- 31 mai 2021 - retour d’évaluation des résumés
- 6 septembre - dépôt des propositions d’article
- 18 octobre 2021 - retour d’évaluation des articles
- 8 novembre 2021 - dernières révisions
- Décembre 2021 - publication du numéro
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