Le 4ème paradigme en question
Coordonné par Lise VERLAET et Bruno BACHIMONT
Au cours de cette dernière décennie, les évolutions des technologies furent étonnamment rapides, transformant la plupart des activités humaines. En particulier, les pratiques scientifiques ne sont pas épargnées par la révolution numérique qualifiée de 4ème paradigme. Pour Tansley et Tolle (2009) le quatrième paradigme de la science est basé sur l’exploration des données massives comme processus de découverte scientifique. Il s'agit d'une nouvelle façon de faire de la science qui repose sur la capacité de collecter, de stocker et d'analyser de grandes quantités de données. Cet appel à articles de la revue interdisciplinaire Intelligibilité du numérique vise à interroger ce 4ème paradigme, qui repose des questions anciennes mais de manière radicale à ce qui constituent la connaissance scientifique et ses matériaux d’élaboration mais également à ce qui cimente les communications dans nos sociétés contemporaines. En effet, ce paradigme semble proposer d’adosser la science à un nominalisme radical et d’aborder la société à travers sa « datafication » totale.
Questions anciennes en effet. Il est évident que les évolutions techniques et technologiques dans le domaine scientifique n’ont pas commencé avec le numérique. Il a fallu plusieurs millénaires pour passer de l’oral à l’écrit, dès son apparition les modes d’échange et de partage d’informations se sont transformés, le savoir et la culture pouvaient enfin laisser une trace, être conservés et transmis aux générations suivantes pour construire, sur ces acquis, de nouvelles connaissances. Car comme l’indique Jack Goody (2007), l’écrit est bien plus qu’un simple « mode d’enregistrement de la parole », il a non seulement permis à l’auteur d’user de la rhétorique adéquate pour formuler – et penser – son propos ; mais également aux lecteurs de l’assimiler ou de s’en accommoder (Piaget, 1967) en façonnant ainsi leur réflexion sur le monde qui les entoure. Le travail collaboratif inhérent à la production-appropriation de l’écriture, cette intelligence collective, a indéniablement concouru à l’évolution de la connaissance et, ce faisant, à une (r)évolution de l’espèce humaine. Il est très clair que ces millénaires d’écriture et ces siècles d’imprimerie ont permis de diffuser et d’organiser les connaissances humaines, et forme un héritage fondamentale dans l’histoire de toutes sociétés avancées et en particulier des sociétés savantes. Toutefois, force est de constater que les évolutions techniques de la communication électronique et des écrits d’écran avec l’invention de technologies permettant le traitement de l’information programmable (Rieffel, 2014), soit les ordinateurs, l’informatique et le numérique, pourraient conduire sciences et sociétés vers une véritable rupture (Schwab, 2017). En effet le tsunami du 4ème paradigme serait le déclencheur de la 4ème révolution industrielle impactant tous les aspects de notre réalité. Pour Halevy (2016) ce n’est donc pas simplement une révolution, mais une renaissance, laquelle s’appuie sur 5 éléments communs pour vivre une bifurcation : rupture écologique, rupture économique, rupture technologique, rupture organisationnelle et rupture philosophique.