Les plateformes en ligne comme dispositifs de production relationnelle
Produire de la relation, produire par la relation
Coordonné par Vincent BULLICH, Frédéric HUET et Agnès ROBIN
Bien que “l’organisation en plateforme” précède l’avènement de notre environnement numérique contemporain, elle tend à en être un modèle structurant. Entendue dans son acception la plus large, une plateforme peut être définie comme un dispositif, tout à la fois organisationnel et technique, assurant la mise en relation d’au moins deux catégories d’agents - offreurs et demandeurs ou contributeurs et utilisateurs, par exemple - par un opérateur. L’agent qui met en place le dispositif et constitue le pivot de la relation est également souvent celui qui est désigné, par métonymie, comme “plateforme”. Cette définition extensive recouvre ainsi des objets et déclinaisons variées. En outre, à ce terme générique se substituent parfois des syntagmes spécifiques à des approches théoriques et méthodologiques, des domaines disciplinaires ou des occurrences particulières : “courtiers informationnels” (Moeglin, 1998), “marchés multi-faces” (Rochet & Tirole 2003), “industries médiatisantes” (Jeanneret, 2014), “places de marché” (Moati, 2021), “infomédiaires” (Rebillard, Smyrnaios, 2019) ou encore “écosystèmes” (Isaac, 2021). De même, en droit, le terme de “plateforme en ligne” est-il privilégié en tant que terme générique dans les textes nationaux ou européens. On note cependant la volonté, pour la Commission européenne, de distinguer plus précisément entre les types de plateforme. Ainsi, parmi les différents textes, le Règlement “Platform to Business” de 2019 vise-t-il expressément les “services d’intermédiation en ligne”, notion qui couvre essentiellement les places de marché en ligne et les moteurs de recherche. La notion de plateforme en ligne est également reprise dans la proposition de Règlement sur les services numériques du 15 déc. 2020 (COM(2020) 825 final).
Au travers de cette polysémie ainsi qu’au travers de la synonymie (partielle) des notions à prétention scientifique, on distingue deux éléments sémantiques rémanents : le premier se rapporte à une instrumentation de la communication (la présence sine qua non d’un dispositif technique de médiatisation) et le second à une visée organisationnelle (la mise en relation coordonnée par un opérateur). À partir de là, nous proposons de considérer ces plateformes comme des dispositifs d'intermédiation médiatisée en vue d'une production. La notion de dispositif est à comprendre ici dans une acception héritée de Michel Foucault (1977), c’est-à-dire comme un agencement hétérogène orienté en finalité. Il s’agit d’insister sur le fait qu’un dispositif déborde la seule dimension technique (bien que celle-ci soit prégnante) et se compose également de normes et de conventions, de représentations et de justifications portés par des discours d’escorte, bref, d’une pluralité d'éléments qui, en l’occurrence, participent de la configuration de la relation. Il s’agit également d’insister sur le fait qu’une plateforme en ligne a comme finalité une production et que celle-ci procède de la relation. La question centrale est dès lors : qu’est-ce qui est produit par cette mise relation ?
C’est dans l’ambition d’y apporter des éléments de réponse que s’élabore ce numéro d’Intelligibilité du Numérique. Pour ce faire, il se veut foncièrement pluridisciplinaire : il s’adresse aux chercheuses et chercheurs en économie, en sciences de gestion, en droit, en sociologie, en sciences politiques ou en sciences de l’information et de la communication (liste non limitative).