Littératie et rhétorique numériques
Coordonné par Bruno BACHIMONT et Serge BOUCHARDON
Selon la définition fréquemment citée de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2000), « la littératie est l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités ». L’expression littératie numérique pourrait dès lors être entendue comme la capacité à comprendre, à utiliser et à créer des écrits sur des supports numériques. Dans la lignée de la thèse de la « raison graphique » de Goody, il semble pertinent d’envisager la littératie numérique comme relevant d’une compréhension et d’une connaissance des spécificités des technologies numériques, comprises dans leur continuité avec l’écriture. Par la suite, Bachimont a pour sa part proposé le concept de « raison computationnelle ».
Mais dans quelle mesure l’écriture elle-même est-elle reconfigurée avec le numérique ? On parle ainsi d’écriture multimédia ou multimodale, interactive, collaborative… Quelles sont les connaissances et compétences requises pour être non pas seulement un alphabétisé, mais un lettré du numérique ?
On pourrait dégager trois niveaux d’interrogation du numérique comme nouvelle modalité de l’écriture : l’écriture comme code informatique, l’écriture comme expression médiatique, et enfin l’écriture comme argumentation ou discours rhétorique. Dans le premier cas, on s’adresse à la machine, dans le second à soi-même pour donner une forme expressive à son vouloir dire, et dans le troisième à autrui, dans un dialogue scandé par l’argumentation et la délibération, et plus généralement toutes les formes de discours permettant un échange entre agents sémiotiques.
Il est difficile d’établir une hiérarchie, une priorité entre ces trois niveaux pour parler d’une littératie numérique. Sa maîtrise consiste-t-elle avant tout à connaître et à pratiquer l’algorithmique et la programmation (selon la formule « programmer pour ne pas être programmé ») ? Ou bien de comprendre la sémiotique des relations entre textes, images, sons et vidéos, pour maîtriser et pratiquer une écriture multimédia, multimodale, polysensorielle ? Ou encore de comprendre la logique interactive et participative des productions écrites en ligne, notamment sur les réseaux sociaux, et d'être conscient de ce que ces usages impliquent, notamment des risques et des précautions à prendre ?