REVUE INTELLIGIBILITÉ DU NUMÉRIQUE

Appel à articles n°5|2022

Les plateformes en ligne comme dispositifs de production relationnelle

Produire de la relation, produire par la relation

Coordonné par Vincent BULLICH, Frédéric HUET et Agnès ROBIN

 

Bien que “l’organisation en plateforme” précède l’avènement de notre environnement numérique contemporain, elle tend à en être un modèle structurant. Entendue dans son acception la plus large, une plateforme peut être définie comme un dispositif, tout à la fois organisationnel et technique, assurant la mise en relation d’au moins deux catégories d’agents - offreurs et demandeurs ou contributeurs et utilisateurs, par exemple - par un opérateur. L’agent qui met en place le dispositif et constitue le pivot de la relation est également souvent celui qui est désigné, par métonymie, comme “plateforme”. Cette définition extensive recouvre ainsi des objets et déclinaisons variées. En outre, à ce terme générique se substituent parfois des syntagmes spécifiques à des approches théoriques et méthodologiques, des domaines disciplinaires ou des occurrences particulières : “courtiers informationnels” (Moeglin, 1998), “marchés multi-faces” (Rochet & Tirole 2003), “industries médiatisantes” (Jeanneret, 2014), “places de marché” (Moati, 2021), “infomédiaires” (Rebillard, Smyrnaios, 2019) ou encore “écosystèmes” (Isaac, 2021). De même, en droit, le terme de “plateforme en ligne” est-il privilégié en tant que terme générique dans les textes nationaux ou européens. On note cependant la volonté, pour la Commission européenne, de distinguer plus précisément entre les types de plateforme. Ainsi, parmi les différents textes, le Règlement “Platform to Business” de 2019 vise-t-il expressément les “services d’intermédiation en ligne”, notion qui couvre essentiellement les places de marché en ligne et les moteurs de recherche. La notion de plateforme en ligne est également reprise dans la proposition de Règlement sur les services numériques du 15 déc. 2020 (COM(2020) 825 final).

Au travers de cette polysémie ainsi qu’au travers de la synonymie (partielle) des notions à prétention scientifique, on distingue deux éléments sémantiques rémanents : le premier se rapporte à une instrumentation de la communication (la présence sine qua non d’un dispositif technique de médiatisation) et le second à une visée organisationnelle (la mise en relation coordonnée par un opérateur). À partir de là, nous proposons de considérer ces plateformes comme des dispositifs d'intermédiation médiatisée en vue d'une production. La notion de dispositif est à comprendre ici dans une acception héritée de Michel Foucault (1977), c’est-à-dire comme un agencement hétérogène orienté en finalité. Il s’agit d’insister sur le fait qu’un dispositif déborde la seule dimension technique (bien que celle-ci soit prégnante) et se compose également de normes et de conventions, de représentations et de justifications portés par des discours d’escorte, bref, d’une pluralité d'éléments qui, en l’occurrence, participent de la configuration de la relation. Il s’agit également d’insister sur le fait qu’une plateforme en ligne a comme finalité une production et que celle-ci procède de la relation. La question centrale est dès lors : qu’est-ce qui est produit par cette mise relation ?

C’est dans l’ambition d’y apporter des éléments de réponse que s’élabore ce numéro d’Intelligibilité du Numérique. Pour ce faire, il se veut foncièrement pluridisciplinaire : il s’adresse aux chercheuses et chercheurs en économie, en sciences de gestion, en droit, en sociologie, en sciences politiques ou en sciences de l’information et de la communication (liste non limitative).

Appel à articles n°4|2022

Littératie et rhétorique numériques

Coordonné par Bruno BACHIMONT et Serge BOUCHARDON

 

Selon la définition fréquemment citée de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2000), « la littératie est l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités ». L’expression littératie numérique pourrait dès lors être entendue comme la capacité à comprendre, à utiliser et à créer des écrits sur des supports numériques. Dans la lignée de la thèse de la « raison graphique » de Goody, il semble pertinent d’envisager la littératie numérique comme relevant d’une compréhension et d’une connaissance des spécificités des technologies numériques, comprises dans leur continuité avec l’écriture. Par la suite, Bachimont a pour sa part proposé le concept de « raison computationnelle ».

Mais dans quelle mesure l’écriture elle-même est-elle reconfigurée avec le numérique ? On parle ainsi d’écriture multimédia ou multimodale, interactive, collaborative… Quelles sont les connaissances et compétences requises pour être non pas seulement un alphabétisé, mais un lettré du numérique ?

On pourrait dégager trois niveaux d’interrogation du numérique comme nouvelle modalité de l’écriture : l’écriture comme code informatique, l’écriture comme expression médiatique, et enfin l’écriture comme argumentation ou discours rhétorique. Dans le premier cas, on s’adresse à la machine, dans le second à soi-même pour donner une forme expressive à son vouloir dire, et dans le troisième à autrui, dans un dialogue scandé par l’argumentation et la délibération, et plus généralement toutes les formes de discours permettant un échange entre agents sémiotiques. 

Il est difficile d’établir une hiérarchie, une priorité entre ces trois niveaux pour parler d’une littératie numérique. Sa maîtrise consiste-t-elle avant tout à connaître et à pratiquer l’algorithmique et la programmation (selon la formule « programmer pour ne pas être programmé ») ? Ou bien de comprendre la sémiotique des relations entre textes, images, sons et vidéos, pour maîtriser et pratiquer une écriture multimédia, multimodale, polysensorielle ? Ou encore de comprendre la logique interactive et participative des productions écrites en ligne, notamment sur les réseaux sociaux, et d'être conscient de ce que ces usages impliquent, notamment des risques et des précautions à prendre ? 

Appel à articles n°3|2021

Modèles : du monde réel au monde numérique

Coordonné par Bruno BACHIMONT, Marcello VITALI-ROSATI et Pierre GANÇARSKI

 

Le concept de modèle semble être fondamental pour comprendre les environnements numériques. Cependant cette notion peut être comprise de plusieurs manières et est par ailleurs interprétée différemment selon les disciplines, les approches et aussi les métiers.

La notion de modèle a été intensivement mobilisée dans les sciences de l’ingénieur : un modèle est alors la représentation d’un système permettant de le simuler ; au lieu d’expérimenter le système dans son fonctionnement empirique effectif, on expérimente via le modèle et ses simulations. Le modèle peut s’appuyer sur une théorie de la réalité décrite (souvent une théorie physique) et proposer des simplifications et adaptations ; il est ensuite calibré sur un domaine de validité (les situations concrètes où on peut l’utiliser), et exploité pour étudier le comportement du système dans ce domaine. Mais la notion de modèle est également utile dans de nombreux autres domaines : par exemple les modèles « utilisateur » en ergonomie ou en informatique, les modèles de « visite » en muséologie, ou encore les modèles du consommateur en marketing ou en économie, etc. Un modèle peut servir à analyser, comprendre, explorer, simuler le réel.

Si bien que ce que l’on appelle modèle peut être très varié. En pratique, il semble que toute représentation, formelle ou non, mathématique, computationnelle, graphique, langagière, peut, d’une manière ou d’une autre, être qualifiée de modèle si elle permet de viser une réalité et d’en cerner son évolution : un modèle utilisateur peut ainsi être une description en langue naturelle indiquant le type de comportement qu’on s’attend à constater.

Appel à articles n°2|2021

Traces, données et preuves en contexte numérique : quelles acceptions interdisciplinaires ?

Coordonné par Bruno BACHIMONT, Lise VERLAET et Pierre GANÇARSKI

 

Avec la généralisation de l’instrumentation scientifique numérique, nous avons vécu ces dernières décennies une spectaculaire évolution paradigmatique. En effet, le Web sémantique a en quelque sorte mis fin au paradigme inhérent aux bibliothèques et aux recherches documentaires pour laisser place aux recherches d’information, mais tend lui-même à être supplanté par le paradigme de la donnée. L’effervescence autour des mégadonnées et la résurgence de l’intelligence artificielle invitent à s’interroger sur le statut de ces données, la nature de leurs traitements, l’interprétation des résultats, et finalement leurs acceptions interdisciplinaires.

Les données sont souvent associées, entre autres, aux notions de trace et d’enregistrement. Une première difficulté est d’articuler ces notions, les disciplines ayant souvent des approches différentes en la matière. Une manière de faire est de considérer que la trace relève du système observé, dont on fait un enregistrement, ce dernier constituant la donnée qui sera analysée pour, par exemple, étudier le comportement du système observé. De ce point de vue, en tant qu’enregistrement des traces, les données peuvent être considérées comme des éléments de preuve et permettent de remonter à leurs origines et donc au système dont elles sont issues. Cette notion de trace fait ainsi désormais partie des concepts liés à la production, la gestion, la valorisation et la consommation des données, concepts sollicités tant par les sciences humaines et sociales que les sciences informatiques. Mais, au-delà de cette première vision, comment articuler donnée et trace ? Une donnée est-elle forcément fondée sur une trace ? Quelles interdépendances entre ces notions ? L’enregistrement, s’il convient de mobiliser cet intermédiaire, introduit-il un biais ? De quel type ? Altère-t-il la manière dont on peut interroger la donnée pour retrouver la trace et le système associé ? Ou, tout à l’opposé, faudrait-il considérer ces termes comme synonymes, leur appellation reflétant donc simplement des variations disciplinaires ?

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