De l’interdisciplinarité aux disciplines, et réciproquement. Retour sur une expérience pédagogique

Plan de l'article

 

Auteurs

Florence Boulch

BOULC'H Florence

Maître de conférences en Electrochimie
Laboratoire MADIREL
 
Université d'Aix Marseille
Campus Scientifique de St. Jérôme
13 397 Marseille Cedex 20
France

BASCAULES Morgane

Professeure de philosophie

Lycée Auguste et Louis Lumière, La Ciotat, Section d'enseignement Freinet

Institut de recherche sur l’enseignement des sciences d’Aix-Marseille

CHRÉTIEN Mariann

Professeure de Lettres

Lycée Auguste et Louis Lumière, La Ciotat
Institut de recherche sur l'enseignement des sciences d'Aix-Marseille

Johanna Tonussi

TONUSSI-REBOH Johanna

Professeure agrégée de Sciences de la Vie et de la Terre

Institut de recherche sur l’enseignement des sciences d’Aix-Marseille

Guillaume Tonussi

TONUSSI Guillaume

Professeur de Sciences de la Vie et de la Terre

Lycée Paul Langevin, Martigues
Institut de recherche sur l’enseignement des sciences d’Aix-Marseille

NOÛS Camille

Consortium scientifique créé pour affirmer le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs, sous le contrôle de la communauté académique.

Laboratoire Cogitamus

Olivier Morizot

MORIZOT Olivier

Maître de conférences en Physique et Histoire des Sciences
CGGG UMR-7304

Université d'Aix Marseille
Campus Scientifique de St. Jérôme
13397 Marseille Cedex 20
France
 

 

Citer l'article

Boulc'h, F., Bascaules, M., Chétien, M., Tonussi-Reboh, J., Tonussi, G., Noûs, C., Morizot, O. (2020). De l’interdisciplinarité aux disciplines, et réciproquement. Retour sur une expérience pédagogique. Revue Intelligibilité du numérique, 1|2020.  [En ligne]  https://doi.org/10.34745/numerev_1688

 

Matériaux associés

 

Résumé : L’enseignement interdisciplinaire se développe aujourd’hui rapidement à l’université comme dans le secondaire, spontanément ou sous l’impulsion des institutions dirigeantes, souvent en opposition au modèle classique purement disciplinaire. Il s’agira dans cet article de témoigner des premières conclusions d’une expérience de formation interdisciplinaire à l’université dans le but d’illustrer certains des avantages et des défauts d’une telle entreprise. Puis de faire état du travail de deux séries d’ateliers de réflexion sur l’identité disciplinaire, mis en place dans le but d’élaborer collectivement des outils de construction d'une interdisciplinarité réellement profitable aux étudiants. On verra émerger de ces travaux un processus circulaire, où l’interdisciplinarité permet un retour aux fondamentaux des disciplines, qui clarifient en retour la pratique interdisciplinaire.

Mots-clés : interdisciplinarité, transdisciplinarité, discipline, enseignement, université, secondaire.

 

Abstract : Over the last decade, interdisciplinary teaching has been developing rapidly in French universities and high-schools. Depending on the cases, this development sprung out spontaneously or due to the impulse of governing institutions, often in opposition to the classical model of teaching, that is essentially disciplinary in university and multidisciplinary in high-school. Consequently, this article was written as a testimony of the first conclusions that could be drawn from the experiment of a transdisciplinary bachelor program that opened in September 2012 in Aix-Marseille Université, in order to illustrate some of the merits and flaws of such an approach. The second part of the text is then dedicated to the description of two sets of workshops about the identity of academic disciplines, that were set up to develop collective tools for the elaboration of an interdisciplinary teaching that would really be fruitful to students. From these works emerges the scheme of a circular process, where interdisciplinarity gives access to some forgotten fundaments of disciplines, which clarify the interdisciplinary dialog in return.

Keywords : interdisciplinarity, transdisciplinarity, discipline, teaching, university, high-school.

 

En septembre 2012, à l’université d’Aix-Marseille (AMU), ouvrait la licence Sciences et Humanités ; licence multi-, inter-, et transdisciplinaire, fruit d’un travail collectif initié en 2009. A l’époque il avait fallu toute la détermination et l’inventivité d’un groupe d’enseignants-chercheurs pour imposer la mise en place d’une telle formation[1] (Hagel, 2019). Aujourd’hui, la politique de l’enseignement en France semble s’être résolument appropriée la question interdisciplinaire dans le secondaire (Conseil supérieur des programmes, 2019) comme à l’université (Endrizzi, 2017). La bascule est surprenante et parmi les nombreuses questions qu’elle pose, certainement sera-t-il essentiel de se demander comment construire un enseignement interdisciplinaire conséquent, cohérent et pertinent pour la formation des élèves ou des étudiants.

Afin d’aborder cette question, nous proposons de revenir sur l’expérience pédagogique menée depuis dix ans au sein de la licence Sciences et Humanités. Ainsi, dans une première partie, décrirons-nous tout d’abord succinctement cette formation pour ensuite répondre aux deux questions suivantes : comment un dialogue fécond s’est-il instauré entre les enseignants des différentes disciplines de cette formation ? Et comment ont-ils construit la cohérence des enseignements proposés au sein de ce cursus ? Enfin, nous conclurons cette première partie en posant un regard critique sur la pertinence des enseignements interdisciplinaires réalisés au sein de la licence Sciences et Humanités. Et nous essaierons d’y montrer comment ce bilan nous a menés à la conclusion que pour une pratique interdisciplinaire saine, une réflexion épistémologique profonde sur l’identité, les pratiques et les objectifs de l’ensemble des disciplines mobilisées, ainsi qu’une formation des étudiants à ces fondamentaux, s’avérait hautement utile, sinon nécessaire.

Afin de mener cette réflexion, des ateliers ont été mis en place depuis septembre 2018 dans deux cadres un peu différents : l’un regroupe les enseignants de la licence Sciences et Humanités dans la perspective d’une refonte globale de la formation à l’horizon 2023. L’idée étant ici que l’ensemble de l’équipe se donne la possibilité de renouveler entièrement les enseignements proposés au sein de la formation selon ses désirs et ses exigences reformulées au fil de ce travail. Le second cadre est un groupe de travail sur l’enseignement interdisciplinaire, réunissant enseignants du secondaire et du supérieur au sein de l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des Sciences (IRES) d’AMU, et s’articule à l’expérience d’enseignants devant créer de nouveaux contenus interdisciplinaires au lycée (Conseil supérieur des programmes, 2019).

Nous avons consacré l’essentiel de cette première année de travail au sein de chacune de ces deux séries d’ateliers, à essayer de définir collectivement une méthode de recherche permettant aux chercheurs et aux enseignants concernés de mieux formuler et cerner l’identité de leur discipline, dans le but de se forger les outils d’un enseignement ambitieux, au plan disciplinaire comme interdisciplinaire. Ces méthodes de travail seront présentées dans la seconde partie de cet article. 

Retour sur l’expérience pédagogique interdisciplinaire menée au sein de la licence Sciences et Humanités

La licence Sciences et Humanités d’AMU, co-portée par l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) Sciences et l’UFR Arts, Lettres, Langues et Sciences Humaines, fait intervenir au fil de ses trois années une quinzaine de disciplines[2] mobilisées intégralement autour de six grands thèmes, donnant leur intitulé aux six cours que l’on retrouve invariablement à chaque semestre de la formation. Ces thèmes que nous nous sommes choisis sont 1. Nature et Culture, 2. Systèmes du Monde, 3. Vision, Lumière, Couleur, 4. Figures du Pouvoir, 5. Logique, Langage, Calcul et 6. Approche critique de la Langue (Collectif, 2019) ; ceux-ci constituent pourrions-nous dire des connecteurs interdisciplinaires évoqués dans l’appel à communication pour le présent colloque (Numerev, 2019). Ainsi, par exemple, au sein de la thématique Vision, Lumière, Couleur, des enseignants de philosophie, physique, biologie, chimie, sociologie, lettres et arts se succèdent pour exposer aux étudiants la manière dont l’être humain s’est représenté, a expliqué et a utilisé ces trois notions depuis les propositions des philosophes de l’Antiquité grecque jusqu’à la théorie de la physique quantique du début du XXème siècle.

Dans les faits, les grands thèmes tels que la lumière, la couleur, le pouvoir, ou le langage, que nous avons choisi de reprendre et de problématiser différemment semestre après semestre, avaient pour raison d’être de jouer le rôle de « notions opératoires communes » permettant aux différentes disciplines de « s’interpeller, de se confronter et de s’articuler » (Barrué-Pastor, 1992). Ainsi chacun des enseignements de la formation, sans exception, a été conçu relativement à l’une ou l’autre de ces notions.

En conséquence, l’un des points à ne pas sous-estimer dans cette entreprise est que ni la méthode consistant à faire dialoguer les disciplines, ni les thèmes d’enseignement choisis ne correspondaient aux programmes des licences classiques. Il s’agissait donc de repenser collectivement les contenus et les formes de l’enseignement universitaire. C’est pourquoi la licence Sciences et Humanités est depuis ses débuts un lieu évolutif, où les enseignants se donnent une grande liberté d’expérimentation. Ainsi les pratiques y sont multiples, les modes d’articulation des contenus disciplinaires différemment aboutis et, malgré de réguliers ajustements, il est certain que son contenu ne ressemble pas à un idéal interdisciplinaire homogène.

Au fil des trois ans de formation, les contenus oscillent en effet entre des propositions multi-, inter- et transdisciplinaires (Thompson Klein, 2011 ; Kleinpeter, 2013). Ainsi, selon la définition de la multidisciplinarité généralement admise, on s’est parfois contenté de juxtaposer des contenus disciplinaires relatifs à un même thème. Dans la grande majorité des cas cependant, nous nous sommes efforcés de pratiquer l’interdisciplinarité en coordonnant des interventions disciplinaires sur un thème commun, en explicitant les convergences et les divergences disciplinaires sur celui-ci, en faisant émerger des liens entre leurs contenus, voire en écrivant des cours à plusieurs ou en intervenant conjointement en classe afin d’essayer de combler des lacunes théoriques entre contenus disciplinaires bien établis. Enfin dans quelques cas, on s’est essayé à appliquer le concept de transdisciplinarité à l’enseignement en composant des méthodes et des concepts issus de disciplines différentes pour aborder des questions qui leur échappent traditionnellement. Mais à dire vrai, plutôt qu’à une catégorisation fine de nos pratiques en termes de multi-, inter- ou transdisciplinarité, c’est bien plus à explorer les manières de permettre à nos étudiants de construire un savoir riche et cohérent à partir de discours disciplinaires initialement disjoints, que nous avons consacré ces dernières années. Néanmoins, par souci de clarté et parce qu’il s’agit probablement là de l’essentiel de notre pratique, nous n’utiliserons dans la suite de ce texte que les termes interdisciplinarité / interdisciplinaire pour décrire globalement nos enseignements, qui dans les faits ne s’imposent que deux contraintes : mobiliser des contenus disciplinaires pour répondre à une thématique commune ; et essayer d’articuler entre eux, au moins deux (souvent plus) points de vue disciplinaires sur la thématique.

Comment un dialogue fécond s’est-il instauré entre les enseignants de différentes disciplines ?

Il est d’ailleurs important pour comprendre le projet, de réaliser que l’interdisciplinarité n’a été ni le mot d’ordre, ni la motivation première, du collectif des enseignants-chercheurs à l’initiative de la formation ; ni même un principe épistémologique, ou une contrainte institutionnelle. Elle s’est imposée elle-même, comme le moyen de repenser notre manière d’enseigner, de redonner un sens à notre travail d’enseignant-chercheur et surtout de travailler au sein d’un véritable collectif.

Pour tout dire, l’idée de la licence Sciences et Humanités est née en 2009 lors des mouvements de contestation contre la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) ; ce fut en effet une occasion rare pour des universitaires de toutes disciplines de se rencontrer et de prendre le temps de repenser l’université (Hagel, 2019), puisqu’une protestation, pour ne pas être stérile, se doit aussi de proposer. Nous pensons donc que l’une des clés de l’interdisciplinarité que nous avons pratiquée réside d’abord dans la rencontre humaine (Barrué-Pastor, 1992). Il semble en effet que ses acteurs étaient avant tout des personnes spécialisées dans des disciplines très différentes, mais curieuses de ce que proposaient les autres et prenant plaisir à réfléchir et à travailler ensemble. La seconde clé de l’interdisciplinarité telle qu’elle y a été pratiquée a donc résidé dans une écoute et une communication de grande qualité sur un temps long entre des enseignants-chercheurs qui possédaient des langages différents. Bien conscients que les thématiques ne feraient pas à elle seule l’interdisciplinarité et qu’il ne suffirait pas d’accumuler et de juxtaposer les contenus disciplinaires relatifs à une thématique commune pour produire une formation riche de sens (Lenoir, 2015), nous avons appris quatre ans avant l’ouverture même de la formation, non pas vraiment à construire un langage commun, mais à nous écouter en recherchant des correspondances entre les concepts que nous manipulions ; les concepts et les modèles d'analyse communs n’étant – comme le souligne Dominique Vinck (2003) – que les résultats éventuels espérés du travail interdisciplinaire et aucunement leur préalable. Ainsi, c’est seulement après des mois à essayer de nous assurer que nous nous comprenions les uns les autres lorsque nous parlions de nos propres sujets, que s’est posé à nous le problème de construire un contenu interdisciplinaire à proprement parler. Pour cela, il est certain que le temps de travail commun entre enseignants, l’écoute et le plaisir à échanger ont été essentiels[3].

Comment a-t-on construit la cohérence des enseignements proposés au sein de la formation ?

Une première stratégie d’organisation des enseignements, qui s’est avérée extrêmement efficace en matière d’interdisciplinarité, a été de dérouler certaines de nos thématiques selon une perspective historique. Dans la thématique Vision, Lumière, Couleur par exemple, on étudie en premier lieu les théories de la vision et de la couleur dans l’Antiquité grecque ; puis on aborde la synthèse et le dépassement de ces textes grecs par les philosophes, anatomistes, opticiens, astronomes et mathématiciens du Moyen-Âge arabe. On analyse ensuite les pratiques éclectiques de la Renaissance mélangeant arts, sciences et magie, qui ont ouvert la voie à la mise en place notamment de l’optique géométrique aux XVIIème et XVIIIème siècles, pour arriver progressivement aux influences de la révolution industrielle sur la philosophie, l’art et la science de la couleur. Enfin cet enseignement débouche en troisième année sur la conception quantique de l’interaction lumière-matière et l’interprétation des mécanismes de la vision par les neurosciences et la phénoménologie. Ce processus étalé sur trois ans permet non seulement de progresser régulièrement en termes de complexité des contenus, mais aussi, en raison de la grande communication entre les savoirs des époques précédant le XIXème siècle, de mobiliser simultanément les disciplines de manière très naturelle autour de questions qui dépassaient très largement chacune d’entre elles. Un exemple assez élégant est la manière dont l’invention de la perspective linéaire par les peintres de la Renaissance ouvre la voie au développement d’une nouvelle géométrie projective en mathématiques et de l’optique géométrique en physique, portée par ailleurs par un renouveau de la conception philosophique de la perception et de la vision en particulier.

Une conséquence heureuse de cette introduction des savoirs selon une perspective historique est qu’elle permet très naturellement de mettre en œuvre une « transposition didactique », c’est-à-dire un « travail qui fait d’un objet de savoir à enseigner un objet d’enseignement » (Chevallard, 1985). La sensibilisation des étudiants aux problèmes philosophiques, sociaux ou techniques ayant historiquement mené d’abord au développement d’une solution théorique, intégrée ensuite sous forme de concepts, de théorèmes ou de méthodes dans l’enseignement, leur a en effet permis de mieux appréhender et mémoriser cette solution théorique et de l’appliquer à des contextes nouveaux (Morizot & Ferri & Bodea & al., 2014). Complexité progressive, confrontation à la porosité et aux mutations historiques des disciplines, justification des contenus des disciplines contemporaines par les problèmes et questionnements qui les ont faits émerger : autant de facteurs qui dans ces thématiques structurées selon une trame historique ont participé à construire des ponts interdisciplinaires extrêmement efficaces en termes d’apprentissage, à condition de ne pas noyer les étudiants dans l’histoire et de conserver le temps pour le travail technique (d’écriture, d’expérimentation, d’enquête, de démonstration mathématique, de lecture et d’analyse de textes…) nécessaire à la manipulation des solutions contemporaines.

Par ailleurs, si le dialogue entre spécialistes de disciplines différentes est évidemment nécessaire à la production d’une formation multidisciplinaire cohérente, nous avons aussi remarqué qu’un simple dialogue ne produisait souvent pas une compréhension entre enseignants suffisante pour la mise en place de véritables liens interdisciplinaires. A l’opposé, nous avons très souvent observé que lorsque plusieurs collègues étaient réunis simultanément en salle de classe, pour co-présenter un contenu ou pour assister au cours de l’un d’entre eux, leur échange se trouvait sensiblement approfondi ; non seulement parce que « la conception et la réalisation d'un enseignement conjoint sont l'occasion, pour les enseignants, de construire et de mettre à l'épreuve la confiance qu'ils peuvent avoir les uns dans les autres » (Vinck, 2003), mais aussi et surtout parce que ce travail d’écriture et de présentation conjointes d’un enseignement cristallise en un « objet intermédiaire » une tentative tangible de construction de savoirs interdisciplinaires, immédiatement « mise à l’épreuve » par les enseignants lors de l’écriture commune, puis par confrontation au regard critique des étudiants.

Quoi qu’il en soit, même dans le cas d’un enseignement qui n’est pas co-construit, le simple fait d’écouter une ou un collègue d’une autre discipline présenter son cours devant une classe permettra très souvent de saisir beaucoup mieux les enjeux de son propos que si elle ou il nous en avait simplement résumé le contenu et les intentions. Il permet également d’en extraire les éléments susceptibles de servir de ponts vers un autre discours disciplinaire d’autant plus efficacement que l’on saura réutiliser précisément les mots, arguments et exemples qui auront déjà été présentés aux étudiants. Notre constat général est donc que l’intervention d’un tiers neutre (ici le groupe d’étudiants) dans l’échange entre disciplines facilite très grandement l’intercompréhension, en forçant l’un à être aussi pédagogue que possible, l’autre à être plus attentif et réceptif. Mais en poussant aussi chacun d’eux à reconfigurer leurs propositions autour des questions du tiers neutre, qui, révélant des interrogations souvent extérieures aux deux disciplines essayant de dialoguer, les forcent toutes deux simultanément à ajuster leur perspective.

Aussi avons-avons essayé, à chaque fois que cela s’est avéré possible, d’imaginer la construction de cours conjoints, ou au moins de nous trouver à plusieurs enseignants simultanément en classe. Il est évident que chacun d’entre nous appréhendait au départ la présence d’un pair au sein de la classe. Cependant, l’inquiétude est vite remplacée par le plaisir d’une interaction plus attentive et surtout, le débat interdisciplinaire éclatant souvent sous les yeux mêmes des étudiants - voire à leur initiative - les liens disciplinaires comme les discordances radicales apparaissent plus clairement. Il est cependant important de noter que cette pratique implique une reconnaissance de nos institutions à la co-présence de deux enseignants en fonction dans la classe ; nous voulons signifier ici que ces heures de cours ne peuvent être partagées entre les deux enseignants mais au contraire ces heures se doivent d’être reconnues pour chacun d’entre eux, si nous souhaitons mettre en place des enseignements interdisciplinaires cohérents et pertinents.

Quel regard critique portons-nous sur la pertinence de la formation après dix années de travail ?

Il est indéniable que la situation est loin d’être parfaite et que la cohérence des enseignements que nous proposons reste parfois contestable. Il semble en effet que dans certains cas nous nous soyons égarés à proposer des enseignements interdisciplinaires fondés sur des analogies particulièrement faibles. L’un d’entre nous décrivant son cours, un autre aura déclaré « c’est intéressant : ça me fait penser à ça dans ma propre discipline » et sur cette simple base on aura développé deux enseignements prétendument connectés mais ne s’enrichissant nullement l’un l’autre. Il n’est alors pas surprenant de voir à leur tour des étudiants étayer une argumentation par une série d’exemples empruntés à des disciplines différentes et parfaitement décorrélés. L’enthousiasme enfantin qui s’empare de nous lorsque l’on pense avoir flairé un nouveau lien interdisciplinaire est en effet si difficile à contrôler qu’il n’est pas rare que l’on se laisse aveugler par celui-ci. L’entreprise interdisciplinaire focalisée sur la recherche de « liens » partout et à tout prix peut alors vite rejoindre la quête analogique frénétique des penseurs de la Renaissance (Foucault, 1966). C’est pourquoi, si le postulat initial d’une recherche ou d’un enseignement interdisciplinaire est bien que « il y a du lien », les programmes effectifs ont néanmoins besoin de hiérarchiser ces liens pour déterminer collégialement ce qui est essentiel ou pertinent, et ce qui l’est moins. Ce problème de la priorisation nous a semblé fondamental face à l’immense volume des savoirs à compacter dans une formation, au point d’avoir motivé une enquête méthodologique sur la pratique de l’analogie et de la migration des concepts entre disciplines (Morizot & Morizot, 2019). Les conclusions provisoires de cette enquête étant que l’acte d’emprunter une connaissance (concept, théorie, modèle) à un champ d’étude dans le but d’éclairer un autre champ où semblent se manifester des problèmes similaires n’a a priori aucune justification épistémologique, mais qu’il revêt un véritable potentiel de création et d’explication à condition de ne lui reconnaître aucun autre fondement que celui d’une hypothèse à éprouver empiriquement et logiquement ; que la connaissance de départ ne doit alors pas être importée dans sa globalité mais qu’il s’agit d’identifier ses quelques règles méthodologiques de déduction rendant effectivement plus intelligibles les problèmes posés dans le second champ ; qu’il s’agira cependant d’être attentif aux échecs ponctuels de la transposition car cette attention particulière aux contrastes stimulera et orientera la nécessaire mutation des éléments de connaissance transposés pour s’adapter aux particularités du nouveau problème ; qu’enfin en cas de succès de la transposition, il faudra renoncer à croire en une réelle analogie entre les deux champs et garder en tête le fait que l’analogie n’a été qu’un déclencheur d’un long processus de mutation, de vérification et d’ajustement ayant mené à la production d’une connaissance toute nouvelle.

Le temps de la réflexion est aussi d’autant plus crucial que lorsque l’on s’essaie à la transposition de connaissances entre champs de savoir distincts par analogie, comme lorsque l’on manipule les connecteurs interdisciplinaires évoqués plus haut, les mots eux-mêmes sont trompeurs. Victimes de leur innocente évidence, et malgré l’injonction célèbre de Michel Foucault (1966), nous avons encore souvent tendance à confondre ces mots avec les choses qu’ils essaient de cerner. De fait, la présence d’un même mot dans différents champs disciplinaires nous a souvent fait penser qu’un enseignement autour de celui-ci produira nécessairement des effets d’interdisciplinarité. Mais enseigner sur un mot commun ne fait pas l’interdisciplinarité. On pourra être tenté de proposer un cours sur la mémoire informatique juxtaposé à un autre sur le devoir de mémoire, ou sur les troubles de la mémoire. Mais au-delà de l’apport disciplinaire pur de ces différents cours, leur association ne mènera nullement à une compréhension enrichie de l’objet complexe qu’est la « mémoire ».

A vrai dire, si ce genre de proposition extrême est vite identifié, un exemple moins trivial de notion interdisciplinaire traitée avec plus ou moins de succès jusqu’ici en licence Sciences & Humanités est la « couleur ». Notion très riche - au sens où on la retrouve déclinée dans un nombre important de disciplines très variées - et qui à ce titre n’a cessé de prendre de l’ampleur dans notre formation depuis son ouverture. Mais notion au sujet de laquelle nous commençons seulement à réaliser à quel point nous chimistes, physiciens, biologistes, artistes, sociologues ou philosophes ne pensons pas du tout à la même entité lorsque nous évoquons la « couleur » : la biologie se questionnant avant tout sur l’organisation cellulaire et neuronale permettant la sensation de couleur, ou sur les gènes et conditions évolutives présidant au développement de cette organisation ; la chimie précisément sur la structure des pigments et colorants donnant leur couleur aux objets ; la physique spécifiquement sur la nature de la lumière colorée ; la littérature sur la manière de rendre la sensation colorée à travers les mots, etc. Dans ces conditions, il reste légitime d’espérer qu’un travail collaboratif interdisciplinaire permette d’élaborer une explication globale de la couleur, intégrant la manière dont la lumière colorée physique est modifiée dans son interaction avec les corps matériels décrits par la chimie, puis transformée en signal nerveux par les photorécepteurs de l’œil humain décrits par la biologie, dont la combinaison donne lieu à la sensation colorée étudiée par la psychologie cognitive. Mais malgré une volonté forte de faire le lien entre ces approches et la mise en place de cours passionnants et variés s’employant à sortir des sentiers classiquement battus par les disciplines (Morizot & Audureau & Briend et al. 2015), la construction d’un objet « couleur » transdisciplinaire et cohérent reste très inaboutie, comme en témoigne l’impossibilité des étudiants de transposer les connaissances acquises dans un cours à un autre, ou notre propre incapacité à produire un sujet d’examen commun.

Il est possible qu’aveuglés par le fait que nous employions tous le même mot, nous pensions sincèrement parler de la même chose. Ou selon les termes choisis par Bruno Bachimont (2019), que nous confondions la « Chose » - cette extériorité qui résiste et sur laquelle peuvent s’appuyer le raisonnement et l’expérience - et l’« Objet » - qui n’est que la reformulation et l’idéalisation de cette « Chose » par un mot spécifique au paradigme disciplinaire adopté. Le risque étant bien entendu de croire qu’en maîtrisant l’Objet on a fait le tour de la Chose. Ce risque est d’ailleurs spécifiquement celui que nous font courir la séparation et l’hyper-spécialisation disciplinaire, et contre lequel on pourrait penser que le travail interdisciplinaire nous prémunirait. Mais le problème resurgit ici de manière plus subtile.

Nous avions en effet conscience que chaque enseignant amenait avec lui un Objet différent. Que chaque discipline a construit l’Objet « couleur » comme réponse à un problème qui se posait spécifiquement pour elle : la couleur en biologie comme une conséquence du fonctionnement du système visuel humain, la couleur en chimie comme une conséquence de la structure de la matière, la couleur en physique comme un aspect de la nature de la lumière, la couleur en psychologie comme pure sensation, la couleur en peinture comme vecteur de structure, d’information ou d’émotion… Nous avons donc imaginé que le travail de mise en commun de ces différents Objets ferait naturellement émerger un nouvel Objet cohérent et plus vaste que les précédents, regroupant différents aspects de la Chose et la décrivant donc mieux. Mais il est probable alors que nous ayons trop voulu révéler les points communs entre nos différents discours disciplinaires, et n’ayons plus suffisamment prêté attention à leurs différences fondamentales. Car après dix ans à essayer de dépasser notre aveuglement disciplinaire pour recoller ensemble les morceaux épars de l’éléphant en tâtonnant les uns vers les autres, comme Frédéric Darbellay (2018) le décrit dans un texte récent, on commence seulement à réaliser que l’on n’abordait même pas véritablement la même Chose sous plusieurs angles mais bien que derrière l’illusion réaliste entretenue par l’homogénéité du mot « couleur », se cache une hétérogénéité radicale entre des notions disciplinaires fondamentalement différentes et pour certaines inconciliables.

En somme, qu’elle qu’en soit la raison, l’utilisation en guise de connecteur interdisciplinaire d’un mot préexistant commun à plusieurs disciplines, ne garantit absolument pas d’aboutir à de véritables notions communes opératoires en interdisciplinarité et réclame au contraire la plus grande vigilance pour échapper à un banal amalgame (Fourez & Mathy & Englebert-Lecomte, 1993).

En particulier dans l’enseignement, puisqu’en soumettant les étudiants à des discours organisés autour d’un même mot strictement (par exemple, « couleur »), mais enchâssés dans des contextes disciplinaires différents, on les expose à la plus grande confusion. Afin de limiter celle-ci, il est évidemment impératif en premier lieu que chaque enseignant disciplinaire accepte le fait qu’il ne propose aux étudiants un éclairage précis que sur un Objet disciplinaire, et non sur la Chose elle-même, et qu’il prenne donc soin de bien définir l’Objet dont il est question. Pour cela, on l’a déjà souligné, se retrouver en classe avec un collègue joue souvent un rôle déclencheur. D’autant qu’une telle mise en situation permettra dans un second temps de dépasser le cloisonnement ainsi révélé et d’amorcer des liens interdisciplinaires en faisant miroiter non seulement les potentiels points communs, mais aussi et surtout les différences entre ces Objets de même nom présents dans plusieurs disciplines. Car c’est la cartographie complète des contrastes entre les Objets disciplinaires qui permet véritablement de lever les ambigüités et d’établir ensuite entre eux de potentiels liens raisonnés ; plutôt qu’une liste de leurs seules ressemblances, laquelle a généralement tendance à exagérer les liens et les proximités (Morizot & Morizot, 2019).

A dire vrai, l’exercice est loin d’être évident et nécessite bien plus qu’une sincère ouverture d’esprit et qu’un dialogue attentif avec les collègues. Il semble en effet nécessiter de chacun qu’il prenne un recul à la fois épistémologique et didactique sur sa propre discipline pour identifier les postulats propres qui la fondent et pour saisir la spécificité de ses méthodes ; ce afin de pouvoir mieux situer les Objets que la discipline manipule dans leurs rapports aux Choses. Or à nouveau ces spécificités disciplinaires apparaîtront de façon d’autant plus saillante qu’on les confrontera aux spécificités d’autres disciplines. C’est donc fort de cette conviction que nous avons initié cette année, avec deux équipes différentes (l’une composée d’enseignants de la licence Sciences et Humanités exclusivement, l’autre réunissant des enseignants du secondaire), deux séries d’ateliers collaboratifs ayant pour but de faire émerger et formuler aussi clairement que possible les différentes identités disciplinaires composant le groupe, pour ensuite les confronter. D’un côté dans l’optique de repenser les pratiques interdisciplinaires au sein de la licence Sciences et Humanités, et imaginer une nouvelle version de la formation à l’horizon 2023. De l’autre dans l’idée de proposer des outils aux enseignants du secondaire récemment soumis à l’injonction de produire des enseignements interdisciplinaires, et à leurs élèves.

Les identités disciplinaires au service de l’interdisciplinarité

Description de la méthode de recherche choisie pour questionner les identités disciplinaires au sein de la licence Sciences et Humanités

Ce premier groupe de travail a pour objectifs la résolution des problèmes évoqués plus haut, à savoir :

1. la nécessité d’établir des critères raisonnés et motivés de tri parmi l’infinité des savoirs que l’on pourrait proposer dans une formation réunissant jusqu’à quinze disciplines. L’enjeu premier est donc de poser des critères pour « clôturer » le corps des connaissances proposées dans la formation (Fourez & Mathy & Englebert-Lecomte, 1993). Cet enjeu justifie à lui seul un retour sur les disciplines, tant l’objectif de la formation n’est pas la licence elle-même, mais la possibilité avec elle d’intégrer avec succès une série d’une dizaine de masters disciplinaires, riche à la fois d’une culture vaste et d’une grande capacité de travail, mais aussi de la maîtrise de fondamentaux disciplinaires qui permettront ce succès. Nous avons effectivement souhaité bâtir une formation fondamentale, résolument ouverte sur la recherche, et donc basée sur les savoirs disciplinaires ; le projet interdisciplinaire consistant précisément à dépasser ces savoirs spécialisés en les articulant à d’autres, tout en fournissant les outils permettant de poser sur eux un regard critique. Ainsi, la réflexion sur les disciplines doit d’abord permettre d’identifier les pans théoriques et méthodologiques essentiels à celles-ci, afin de lister les contenus et les pratiques qui doivent absolument figurer dans le cursus et ainsi redessiner son contour.

2. la nécessité pour chaque discipline d’expliciter sa propre conception des connecteurs interdisciplinaires qu’elle manipule et d’exposer les contrastes qu’entretient cette conception avec celles des autres disciplines mobilisées. Ce dans la perspective de proposer un cursus de licence interdisciplinaire intégralement basé sur des thématiques d’enseignement véritablement à même de faire dialoguer les disciplines, tout en évitant les amalgames, confusions et analogies superficielles. Cet objectif lui aussi passe par un retour sur les disciplines, puisque l’on fait le pari que la manière la plus efficace et générale de saisir les limites des notions disciplinaires sera de faire émerger les postulats, méthodes et problématiques qui structurent la discipline et qui ont donc présidé au façonnement de ses contenus. Mais aussi qu’en cartographiant finement les territoires disciplinaires on révélera quelques lieux de croisements interdisciplinaires pertinents et quelques marécages à éviter.

Ainsi a-t-on ici mis en place trois groupes de travail : le premier réunissant l’ensemble des biologistes de la formation ; le second regroupant chimistes et physiciens ; le troisième centré sur l’histoire et la philosophie. Le travail de ces trois groupes ayant été animé autour d’un même nombre restreint de questions relatives aux disciplines. La première étant tout simplement : « Qu’est-ce que ma discipline ? ». En posant la question de la sorte, on s’est d’abord exposé au risque de confusion liée à l’homonymie du mot « discipline » (Coquidé, 2008) utilisé à l’université pour désigner à la fois un corpus d’enseignement et un champ de recherche[4]. Il a donc été nécessaire pour éviter les malentendus de préciser dans la réponse à cette question si l’on parlait de celle que l’on enseigne ou de celle que l’on pratique en laboratoire, car on souhaitait avant tout garder cette question ouverte. Si l’on aurait pu en effet être tenté dans ce contexte de limiter le débat à l’identité de la discipline enseignée, il nous a toutefois semblé que celle de la discipline de recherche s’avérait tout aussi cruciale au projet. Car rien n’éclaire mieux la logique des savoirs enseignés ni ne permet mieux de développer un regard critique sur ceux-ci que la structure même de la discipline savante.

Nous nous sommes donc posé frontalement les questions : qu’est-ce que la biologie, la chimie, la physique ? Auxquelles les premières réponses ont souvent été relativement sommaires : la biologie est la science du vivant ; la chimie est la science de la matière et de ses transformations ; la physique est la science de la nature.

Toutefois, ces premières définitions schématiques pointent bien la complexité des identités de ces trois disciplines. Par exemple, puisque le vivant est fait de matière et qu’il fait aussi partie de la nature, si l’on souhaite délimiter les domaines de la biologie, de la chimie et de la physique, il faut nécessairement approfondir ces réponses et se demander : quelles sont les caractéristiques du vivant ? De l’ordre biologique ? Qu’est ce qui définit la matière vivante ? Qu’est-ce qui la différencie de la matière étudiée par la chimie ? Ou au contraire, quel est le lien qui existe entre la matière étudiée par les biologistes et la matière étudiée par les chimistes ? Et de la même manière, quelles sont les spécificités de la matière qui font que la chimie n’est pas une partie de la physique ? Et quelle est cette manière très particulière qu’a la physique de s’interroger sur la nature et qui fait qu’elle n’inclut ni les Objets de la biologie, ni ceux de la chimie, ni des autres disciplines se rapportant elles aussi à la nature. En d’autres termes, qu’est-ce qui fait malgré tout la spécificité de ces disciplines relativement aux champs qu’elles étudient, en particulier là où ces champs se superposent ? Les premières réponses aux questions précédentes, ont permis d’esquisser deux types de sous-domaines pour chaque discipline : l’un qui lui est propre, et qui pourrait nous aider à comprendre l’identité de la discipline ; le second qui est commun à plusieurs disciplines, comme ici la biologie et la chimie, et qui nous permettrait d’envisager un cadre pertinent pour des approches interdisciplinaires qui seront d’autant plus fécondes qu’elles reconnaîtront et mettront en relief les spécificités disciplinaires des Objets présents sur ce sous-domaine.

Nous poursuivons actuellement notre réflexion à ce sujet, tout en ayant conscience que pour la plupart d’entre nous, il est difficile d’apporter une réponse à une question aussi abstraite que « Qu’est-ce que ma discipline ? » et qu’il nous est souvent plus aisé de définir notre discipline à partir de notre pratique en enseignement et en recherche. Voilà pourquoi, en complément de cette première question, nous avons choisi d’aborder au sein de ces ateliers la question pédagogique en proposant à chaque enseignant d’énoncer un programme ambitieux pour sa discipline puis d’identifier au sein de celui-ci les pans théoriques essentiels à l’enseignement et à la compréhension de la discipline et de pointer les aspects accessoires de nos disciplines. Ce travail que nous avions déjà réalisé pour certaines disciplines avant l’ouverture de la licence nous avait permis justement de compresser autant de contenus en trois ans et néanmoins de spécialiser avec succès des étudiants dans des disciplines telles que la physique, les mathématiques, les neurosciences, l’écologie ou la sociologie. Mais avec dix ans de recul, ce retour sur les fondamentaux disciplinaires nous a permis de réaliser que certaines des spécialisations qu’aujourd’hui nous proposions (telles que la biologie cellulaire, la philosophie ou l’histoire) étaient absolument irréalistes, par manque d’un nombre considérable de leurs fondamentaux dans notre cursus. Ainsi, dans la prochaine version de la formation nous nous refuserons à ouvrir des spécialisations sur des disciplines pour lesquelles nous ne proposons pas suffisamment de bases. Et nous espérons que les approches interdisciplinaires dans le secondaire sauront préserver la place pour ces fondamentaux nécessaires à l’appréhension des contenus, techniques et problématiques disciplinaires.

Parallèlement, nous proposons au sein de ces ateliers de mener une réflexion épistémologique sur nos disciplines selon deux approches complémentaires. Nous tentons premièrement de répondre aux questions : Quels sont les postulats fondamentaux de ma discipline ? Et quelles sont les méthodes d’analyse développées au sein de ma discipline, à savoir quelles procédures met-elle en œuvre pour valider, corroborer ou développer ses théories et ses pratiques ? A travers ce questionnement, nous identifions peu à peu des postulats et des méthodes propres à certaines disciplines exclusivement, et d’autres qui sont partagés par plusieurs d’entre elles.  Si la procédure de problématisation par exemple, semble un point de méthode commun à l’ensemble des disciplines, la procédure consistant à administrer la preuve en confrontant des modèles à l’expérience n’est pas nécessairement partagée par toutes. Si par ailleurs on a du mal à imaginer une discipline académique renonçant aux postulats profonds que « les mêmes causes produisent les mêmes effets » et que « la cause précède l’effet » (causalité), le postulat d’existence de « faits sociaux » est fondateur de la sociologie seule, et seule la chimie repose par essence sur le postulat d’un nombre fini d’éléments constituant la matière. Dans les formations disciplinaires classiques, même si ces postulats et ces méthodes ne sont souvent pas formulés explicitement, ils finissent par infuser à force de répétition et à être plus ou moins consciemment intégrés par les étudiants qui réussissent[5] et qui les transmettront à leur tour. Mais dans une formation interdisciplinaire le temps de la répétition n’est jamais suffisant et surtout, les postulats et les méthodes varient d’une prise de parole à la suivante. Ainsi, il sera plus que partout ailleurs nécessaire que chaque intervenant fasse l’effort de présenter les siens aux étudiants pour leur permettre de comprendre les choix de problèmes et de solutions qui seront faits dans le cours. D’autant que nous avons l’intime intuition qu’un travail de comparaison des postulats et des méthodes disciplinaires, et d’analyse de leur récurrence ou de leur absence dans d’autres disciplines pourrait permettre à terme d’établir des liens interdisciplinaires allant au-delà des simples objets et thématiques, fondés soit sur une communauté de points de vue et de méthodes, soit au contraire sur une hybridation de ceux-ci.

Deuxièmement, notre travail revient sur l’histoire de nos disciplines afin de mettre en évidence certaines des phases absolument clés de leur développement. Dans ce cadre, nous nous efforçons de montrer comment un savoir émerge et comment il se transforme pour aboutir à la construction d’une nouvelle connaissance. De là nous espérons donner un sens à ce savoir, permettant à l’étudiant de contourner l’obstacle épistémologique qu’il représente (Bachelard, 1938) et à identifier les principaux paliers épistémologiques qui ont fondé la discipline (Barlet, 1999). Par exemple, dans le cadre de l’histoire de la chimie, nous nous efforcerons de comprendre quelles furent les questions précises auxquelles fut confronté Lavoisier à la fin du XVIIIème siècle à propos de la matière, quelles étaient les réponses apportées jusque-là à cette question et quelles approches nouvelles il proposa à son tour. Car ce sont ses propositions qui fondent en bonne partie la chimie moderne, et que du contraste avec des propositions alternatives (ici la théorie du phlogistique) émergent d’autant plus clairement leurs spécificités (Barlet, 1999).

Un premier bilan de ces ateliers a été exposé à l’ensemble de l’équipe pédagogique en fin d’année universitaire. Sa conclusion essentielle est que cette première année nous aura avant tout permis de mettre en place une méthode de travail combinant les propositions que l’on vient d’exposer et celles émergeant des ateliers présentés ci-après. Si le reste du bilan est encore trop sommaire et spécifique à la formation pour en faire état ici, on notera que l’équipe a jugé l’initiative opportune et s’est engagée à poursuivre le travail sur l’année à venir, en l’ouvrant en particulier à d’autres disciplines à travers la création d’un groupe physique/mathématiques et d’un autre groupe littérature/arts.

Description de la méthode de recherche choisie pour questionner les identités disciplinaires au sein de l’IRES

La conversion récente de l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (IREM) d’AMU en Institut de Recherche sur l’Enseignement des Sciences (IRES) a été pour nous l’occasion d’intégrer cette belle structure permettant à des enseignants-chercheurs du supérieur de travailler conjointement avec des professeurs du secondaire sur des questions d’enseignement. L’ouverture de l’Institut à de nouvelles disciplines qui doivent maintenant y collaborer, aussi bien que le développement rapide et parfois angoissant des pratiques interdisciplinaires dans le secondaire nous a semblé l’occasion de mettre l’expérience de la licence Sciences et Humanités au service des collègues, et tout particulièrement des professeurs de collège et lycée. Aussi avons-nous monté un groupe composé de trois maîtres de conférences (en chimie, en physique et en sciences de l’éducation) et quatre professeurs de lycée (en sciences de la vie et de la Terre, en français et en philosophie) pour réfléchir à la question interdisciplinaire, à nouveau en l’orientant autour de la question de l’identité des disciplines.

Ces ateliers s’avèrent être l’occasion de tester une autre approche de la question de l’interdisciplinarité. L’idée, empruntée à Michel Develay (1993) est de procéder à un travail de catégorisation des disciplines. Il pose en effet que l’enseignement de toute discipline repose sur cinq catégories d’éléments fondamentaux à partir desquelles il sera profitable d’élaborer le dialogue interdisciplinaire. La catégorisation qu’il propose (Develay, 1993) est à peu près celle que nous avons choisi de retenir dans un premier temps. Elle reconnait dans l’enseignement de chaque discipline :

1. des outils, qui lui sont propres et dont l’élève doit acquérir la maîtrise (calculatrice en mathématiques, pH-mètre en chimie, livre en littérature…) ;

2. des tâches ou exercices canoniques auxquels l’élève doit être formé (dissertation en philosophie, analyse de documents en histoire, travaux pratiques en physique…) ;

3. des connaissances déclaratives. Soit des faits, notions, concepts ou même des procédures que l’élève doit être capable de conscientiser et de formuler clairement lui-même à l’issue de l’enseignement (dates clés en histoire, auteurs clés en philosophie, la notion d’élément en chimie, leur nombre et leur organisation périodique…) et que Désilets (1997) propose de baptiser plus simplement « connaissances » ;

4. des connaissances procédurales. Soit des procédures, méthodes et techniques, ou même des informations que l’élève doit savoir mettre en œuvre presque par automatisme, sans plus avoir à y réfléchir, à l’issue du cours (démonstration mathématique, argumentation en philosophie, manipulation de matériels techniques en biologie, lecture de texte en français…). Concept que Désilets (1997) propose de désambigüiser par l’utilisation du terme « habiletés » ;

5. une matrice disciplinaire, soit dans ce contexte « le principe d’intelligibilité de la discipline » enseignée, ou l’ensemble des choix politiques et idéologiques, orientant le choix des contenus enseignés et la manière de les présenter. Cependant afin d’ouvrir le champ de la réflexion et d’articuler ce travail à celui mené dans l’autre groupe, nous avons décidé d’intégrer au concept de « matrice disciplinaire » le sens que donnait Kuhn (1983) à ces mêmes termes, c’est-à-dire l’ensemble des postulats et méthodes guidant la pratique des chercheurs de la discipline.

On le pressent, un tel travail critique, épistémologique et didactique doit permettre à terme de séparer l’essentiel de l’accessoire dans l’enseignement d’une discipline, et donc de s’assurer qu’au sein d’un projet d’enseignement interdisciplinaire les fondamentaux de chacune resteront enseignés à tous. Mais il doit aussi permettre de repérer des points communs, qui pourront prendre la forme de notions, mais aussi d’exercices, de procédures ou de postulats communs à plusieurs disciplines sur lesquels il est légitime de penser qu’un enseignement interdisciplinaire sera pertinent. Comme déjà évoqué plus haut, après discussion au sein du groupe, il est apparu qu’une procédure commune à toutes les disciplines présentes et qui gagnerait à être travaillée en interdisciplinarité est celle de la « problématisation ». Non seulement parce que c’est une procédure fondamentale très mal maîtrisée par nos élèves ; mais aussi parce que les disciplines sont par définition construites chacune sur une problématisation différente du monde. Qu’un travail commun sur le sujet permettrait donc certainement à la fois une meilleure maîtrise de la problématisation et une meilleure appréhension des disciplines.

Ces cinq catégories proposées par Michel Develay ne sont pas nécessairement uniques ou exhaustives et ne représentent pas une fin en soi dans ce projet. Notre travail sur ce chantier commence à peine. Mais on a déjà pu remarquer qu’une réflexion initiée autour de ces catégories directement ancrées dans nos pratiques d’enseignement (quels outils manipulons-nous ? quels sont les exercices que nous donnons ?…) avait permis de contourner certains blocages observés dans l’autre groupe de travail chez des enseignants incommodés par l’idée  d’aborder de but en blanc des questions telles que « qu’est-ce que ma discipline ? » et « quels sont ses postulats fondamentaux ? », et de faire émerger du groupe lui-même - et spontanément - ces questions plus fondamentales. Il semble que par l’intermédiaire anodin d’une liste d’outils manipulés en cours, d’exercices canoniques, ou de notions clés à enseigner, il nous a été possible assez systématiquement et très rapidement, en questionnant collectivement la raison profonde de l’enseignement de ces outils, exercices et notions, de remonter précisément vers les méthodes clés et les postulats fondateurs des disciplines et sur un début de définition de celles-ci.

Chacun de ces ateliers a donc pris la forme d’une présentation du travail de catégorisation réalisé par un seul enseignant sur sa propre discipline. Ce qui a permis de révéler d’emblée la présence ou l’absence des méthodes et des postulats émergeant de l’analyse d’une discipline dans les autres disciplines présentes autour de la table, amorçant ainsi le travail d’analyse qu’elles devraient faire à leur tour. Comparativement à l’autre groupe, où étaient réunis uniquement des spécialistes d’une ou deux disciplines autour de la table, nous avons évidemment perdu en précision et exhaustivité des contenus. Toutefois, nous soulignons à nouveau ici que le but de ces ateliers n’est pas tant d’aboutir à une définition complète et définitive des disciplines, que de permettre à chacun de ses participants, au terme d’un échange collectif, de prendre conscience de quelques-uns des fondamentaux inconscients, oubliés ou trop évidents de celle-ci, puis d’imaginer le moyen de les réinvestir dans son enseignement disciplinaire ou interdisciplinaire. Le second format d’ateliers a par ailleurs naturellement généré, du fait de la diversité de disciplines et de cadres d’enseignement représentés, beaucoup plus de malentendus que le premier où les codes étaient plus uniformément partagés. Mais la parole des participants y a semblé plus libre, comme affranchie du poids d’avoir à s’exprimer sous l’autorité d’un collègue de la même discipline. Ce contexte très mixte ayant même favorisé l’échange et la créativité en évitant les querelles de chapelle et en affinant rapidement la définition des disciplines par contraste avec leurs voisines. Gageons donc que ces deux stratégies s’avéreront complémentaires si elles sont convenablement articulées.

Conclusion

Ainsi, après dix ans d’échanges entre enseignants et étudiants de la licence Sciences et Humanités, et dans une période historique où le choix politique fort que nous avions fait de l’interdisciplinarité semble être devenu un effet de mode au service d’une politique de l’enseignement et de la recherche, nous amorçons un bilan des réussites et des échecs du pari que nous avons tenté. Le développement d’un collectif fort et soudé d’enseignants et d’étudiants défendant les valeurs fondamentales d’une université indépendante ; la mise en place de contenus d’enseignement riches et nouveaux mêlant de manière cohérente les disciplines ; le taux de réussite spectaculaire des étudiants dans la formation, mais aussi dans leur poursuite d’études dans des masters et thèses disciplinaires ; enfin l’aptitude de certains d’entre eux à imaginer puis à explorer des sujets de master ou de thèses interdisciplinaires intelligents, nous confortent dans la pertinence du modèle. Nous constatons cependant l’échec de plusieurs de nos tentatives de développer des contenus thématiques organiques ; d’importantes lacunes des étudiants sur des fondamentaux disciplinaires ; un mélange des discours menant parfois les étudiants à des conclusions ou à des raccourcis confus ; enfin la conviction chez beaucoup d’entre eux que seul ce qui est interdisciplinaire et tout ce qui est interdisciplinaire est pertinent.

Nous avons donc entamé un travail de réflexion épistémologique et didactique au sein d’ateliers avant tout disciplinaires, afin de faire émerger clairement les territoires, postulats, méthodes et contenus fondamentaux des disciplines. Travail que nous souhaitons suffisamment général pour pouvoir être extrapolé à d’autres lieux d’enseignement interdisciplinaire à l’université ou dans le secondaire.

Sur le fond, il nous a permis de faire émerger une structure générale du fonctionnement des disciplines, ou de leurs courants disciplinaires. Cette structure (Figure 1) envisage les disciplines dans leur manière de transformer en Objets disciplinaires (faits, définitions, concepts, principes, théorèmes, systèmes) les Choses du Monde qui nous entoure (incluant tout autant les êtres et les phénomènes que les productions humaines, et donc les Objets disciplinaires eux-mêmes). Ces disciplines[6] y sont décrites comme fondées sur une série de Postulats[7] qui orientent le regard qu’elles portent sur les Choses, et y font émerger une série de questions et Problèmes particuliers. L’exploration de ces Problèmes à l’aide de la série de Méthodes que la Discipline reconnait comme susceptibles de faire émerger de la connaissance[8], produit alors une série d’Objets disciplinaires qui formeront ce que l’on appelle communément les contenus disciplinaires et qui s’intègrent de facto à l’ensemble des Choses. Mais surtout, la confrontation systématique de ces Objets et de leurs articulations aux Problèmes, parfois aux Méthodes et plus rarement encore aux Postulats de la Discipline, participe à son évolution.

 

Figure 1. Processus de transformation des Choses en Objets disciplinaires par les disciplines. Toute discipline, ou courant disciplinaire, repose sur une série de Postulats qui structurent une prise de position par rapport aux Choses et en font émerger une série de Problèmes. Ces Problèmes, analysés par une série de Méthodes à nouveau propres aux disciplines permettent d’arriver à une série de résultats clés, matérialisés sous la forme d’Objets disciplinaires qui formeront le contenu de la discipline. La confrontation de ces Objets aux Méthodes qui les ont façonnés, aux Problèmes qu’ils devaient résoudre, parfois même aux Postulats à l’origine de ces Problèmes, participant à l’évolution de la discipline. Et l’apparition d’Objets nouveaux enrichissant l’ensemble des Choses.

Cette structure fait émerger une théorie naïve[9] de la connaissance menant tout du moins à une meilleure appréhension des disciplines. La liste des Postulats et des Méthodes disciplinaires fournissant en effet les critères permettant de discerner leurs contenus fondamentaux des plus accessoires ou anecdotiques et donc d’assainir leur enseignement. Mais cette grille de lecture commune pourra aussi servir de support au dialogue interdisciplinaire. Notamment en faisant émerger pour chaque catégorie les spécificités disciplinaires comme les recouvrements complets ou partiels ; en révélant les amalgames à éviter ; et en inspirant de nouvelles pratiques interdisciplinaires par proximité ou hybridation de Postulats, Problèmes, Méthodes ou Objets. Enfin, elle fera on l’espère office de boussole permettant aux étudiants de s’orienter au sein d’un enseignement interdisciplinaire, en leur donnant accès aux Postulats et Méthodes qui filtrent et orientent le regard posé par les disciplines sur le monde et qui façonnent les Objets dont elles nous parlent. Ici l’on réalise que c’est probablement l’une des conséquences heureuses de tout exercice interdisciplinaire bien mené que de conduire à un gain de scientificité et de rigueur des disciplines engagées, tout en donnant accès à des problèmes et des méthodes qui dépassent leur cadre strict.

L’application locale de cette méthode nous a d’ores et déjà permis d’identifier des blocs disciplinaires fondamentaux manquant à la formation de nos étudiants ; d’écarter quelques thématiques sans pertinence interdisciplinaire ; d’analyser plus finement les véritables recouvrements techniques et conceptuels entre disciplines, propres à être le lieu d’enseignements interdisciplinaires indiscutablement cohérents ; de nous comprendre enfin un peu mieux les uns les autres.

 

Bibliographie

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[1] A notre connaissance, ce modèle de formation interdisciplinaire, aussi exigeant dans le domaine des sciences que dans celui des humanités, est unique en France. Nous pouvons cependant le rapprocher de la licence Culture humaniste et scientifique de l’Université Bordeaux Montaigne, ouverte indépendamment en 2011, mais reposant sur des principes communs. Cependant l’objectif de cette formation est plus directement ciblé sur la formation aux métiers de la diffusion des connaissances, l’enseignement y est essentiellement multidisciplinaire bien qu’aussi organisé par thématiques synthétisées dans des séminaires interdisciplinaires semestriels, et les sciences sont développées d’un point de vue plus épistémologique et historique que pratique. L’enseignement artistique y est néanmoins beaucoup plus développé. Par ailleurs, si l’on pourrait être tenté de rapprocher la formation Sciences et Humanités des doubles licences de Sorbonne Université (Sciences et Philosophie par exemple), il est important de comprendre que les doubles licences offrent une formation exclusivement multidisciplinaire proposant à chaque semestre d’une part des enseignements scientifiques, d’autre part des enseignements philosophiques, sans aucun lien entre ces deux domaines. Or l’objectif de cet article est justement de mettre en évidence une approche pédagogique interdisciplinaire qui met en dialogue les sciences et les humanités autour de différents thèmes qui permettent de mêler des contenus et des méthodes disciplinaires.

[2] Nous citerons, par ordre décroissant du nombre d’heures qui y sont consacrées la philosophie-histoire des sciences, la physique, la biologie, la sociologie, la littérature, les mathématiques, l’anglais, l’histoire, l’art, la linguistique, l’anthropologie, l’informatique, la chimie, la psychologie, l’économie, l’urbanisme et la géographie. La possibilité d’une spécialisation dans l’une des onze premières disciplines de cette liste (à l’exception de l’anglais et de l’art) étant offerte aux étudiants en troisième année.

[3] Un effet collatéral positif de ce long effort d’intercompréhension est qu’ainsi nous nous assurions aussi que la formation pourrait être ouverte à tous les profils d’étudiants. Si les collègues chimistes, biologistes ou physiciens avaient travaillé leur enseignement de manière à le rendre audible aux enseignants philosophes, sociologues et artistes - et s’ils avaient intégré leurs objections et interrogations - alors il devenait probable que ceux-ci ne seraient pas accessibles uniquement à des profils d’étudiants exclusivement scientifiques, au détriment de ceux issus de filières littéraires. Et réciproquement.

[4] Le champ de l’homonymie du mot « discipline » retenu ici exclut le sens d’« ascèse » ou de « direction morale », qui n’est pas absolument absent de l’enseignement ou de la recherche disciplinaire, mais dont il est assez facile de voir qu’il n’est pas le sujet la question. Cependant l’homonymie du mot « discipline » s’élargira dans la partie suivante, puisqu’en déplaçant le focus vers l’enseignement dans le secondaire, le mot discipline intégrera un corpus d’enseignement différent, basé en particulier sur des objectifs qui ne sont pas nécessairement ceux de l’enseignement disciplinaire universitaire (Coquidé, 2008). Il s’agira donc d’être vigilant à ces subtiles distinctions dans les travaux réunissant acteurs du secondaire et du supérieur.

[5] L’assimilation de ces postulats et méthodes implicites étant d’ailleurs la condition même de la réussite.

[6] Ou tout au moins leurs courants disciplinaires, ou écoles spécifiques.

[7] Par exemple : « le livre de la Nature est écrit en langage mathématique » pour la physique, ou « la matière est composée d’un nombre fini d’éléments » pour la chimie.

[8]La production de systèmes supposés isolés et représentatifs comme supports de l’expérimentation pour la physique », ou « la problématisation d’un terrain sur lequel mener un travail d’enquête normé » pour une partie des sciences sociales.

[9] Au moins au sens où elle est trop générale pour être strictement correcte et où elle n’intègre précisément pas les évolutions disciplinaires provoquées par des influences extérieures à la discipline.

 

 


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