Éléments d’une littératie numérique publicitaire

Plan de l'article

 

Auteur

Karine Berthelot-Guiet

BERTHELOT-GUIET Karine

Professeure en Sciences de l'Information et de la Communication  
GRIPIC UR-1498
                            
CELSA Sorbonne-Université
77 rue de villiers
92 200 Neuilly-sur-Seine
France

 

Citer l'article

Berthelot-Guiet, K. (2023). Éléments d’une littératie numérique publicitaire. Revue Intelligibilité du numérique, 4|2023. [En ligne] https://doi.org/10.34745/numerev_1930

 

 

RésuméComment une littératie numérique des discours publicitaires s’est-elle constituée depuis plus de 25 ans ? 
Nous proposerons d’abord une définition de la littératie publicitaire, conçue comme "autodidacte" et populaire, développée par une fréquentation quotidienne de la publicité et nourrie par les discours médiatiques qui permettent une forme de contrôle et/ou de distanciation par rapport aux codes publicitaires quel que soit le support médiatique. Nous explorerons le développement de discours critiques communs qui ont forgé la capacité du public à repérer les publicités, à les prendre comme telles et à s’en distancier sans forcément les rejeter. Après une courte histoire des formes et formats numériques de la publicité, nous analyserons plus particulièrement les questions que posent, en termes de littératie, les interventions des marques sur les réseaux sociaux, la présence des algorithmes dans les choix publicitaires, le retour de formes problématiques comme la réclame et le matraquage publicitaire. Enfin, nous poserons la question du rôle des dark patternsdans l’évolution contemporaine de la littératie numérique publicitaire

Mots clés : publicité, littératie, numérique, réseaux sociaux, médias, marque.

 

Abstract : How has an advertising digital literacy been built over the last 25 years? 
We will first propose a definition of advertising literacy, as "self-taught" and popular, developed through daily exposure to advertising and nourished by media discourses that provide a form of control and/or distanciation from advertising codes. We will explore the historical transformations of advertising forms and formats and the development of common critical discourses that have forged the public's ability to identify advertising, to take it as such and to distance themselves from it, without necessarily rejecting it. After a short history of digital forms and formats of advertising, we will analyze more particularly the questions raised, in terms of literacy, by the interventions of brands on social networks, the place of algorithms in advertising choices, the return of problematic forms such as “réclame” and hype, and finally, we will ask the question of the role of dark patterns in the contemporary evolution of the advertising digital literacy.

keywords : advertising, literacy, digital, social media, media, brand.

 

Vers une littératie numérique publicitaire

Les plateformes marchandes, les médias en ligne, les moteurs de recherche, les réseaux socio-numériques, sont fortement fréquentés, usités, commentés, loués mais aussi critiqués, notamment pour la place conséquente qu’ils donnent à la publicité sous toutes ses formes. Son omniprésence est telle qu’il est difficile de concevoir une littératie des discours numériques qui ne prenne pas la publicité en compte (Patrin-Leclère, 2000). Cette interrelation est souvent vilipendée et dénoncée comme une colonisation du web par la publicité. Pourtant, les travaux de recherche, notamment francophones, autour d’une littératie numérique publicitaire sont encore peu nombreux alors que, depuis plus de 20 ans, des analyses de la critique de la marchandisation des activités des internautes se déploient dans le champ des sciences de l’information et de la communication.

Notre article s’appuie sur des travaux autour de la littératie numérique publicitaire par un groupe de chercheurs internationaux en sciences de la communication que nous animons avec Eneus Trindade de l’université de Sao Paolo. Ces recherches ont débuté en 2018, dans le cadre d’un programme de chaire internationale de Sorbonne Université "Numératie publicitaire" ou "Littératie numérique publicitaire-Advertising Digital Literacy". Depuis, nous organisons une session annuelle du colloque Human Computer Interactions – Social Computing and Social Media. Au fil des années, ces panels ont réuni plus de 25 chercheurs autour des thématiques "Social Media: Towards an Advertising Digital Literacy" (2019), "Advertising Digital Literacy: Gender, Generation, Genericity" (2020), "Advertising Literacy: of Human and Machines" (2021) et "Brands and Advertising Digital Literacy" (2022).

Ces recherches ont une quadruple visée :

  • au niveau micro, elles visent à répertorier et analyser des manifestations de la littératie numérique liées à la publicité et aux marques,
  • au niveau méso, elles interrogent les logiques marchandes et communicationnelles reliées,
  • au niveau macro, l’enjeu est de comprendre comment ces formes et logiques participent des phénomènes économiques, sociaux et communicationnels contemporains,
  • au niveau méta, elles interrogent ce que ces formes disent de la littératie numérique, de la littératie publicitaire, numérique ou non, et du développement d’une culture liée à la publicité.

Nourri de ces échanges, notre propos rend compte d’une partie des travaux menés à titre personnel dans ce collectif. Nous cherchons à comprendre comment une littératie numérique publicitaire s’est constituée depuis plus de 25 ans. En ce sens, nous interrogeons d’abord la notion de littératie appliquée à la publicité et les définitions qu’elle peut prendre. Nos recherches portent sur une littératie, inspirée de Hoggart, caractérisée par la connaissance et la maîtrise des codes, forgée au fil du temps et des transformations des formes et formats publicitaires, des évolutions de la profession et de la réception sociale de la publicité. Nous explorons le développement de discours critiques communs qui ont étayé la capacité du public à repérer les publicités, à les prendre comme telles et à s’en distancier.

Après une courte histoire des formes et formats numériques de la publicité, nous nous concentrons ensuite sur le repérage des formes numériques qui relèvent ou ont relevé du publicitaire, tout en retraçant les éventuelles actions des professionnels pour tenter de contrecarrer les formes de littératie numérique publicitaire émergentes. Enfin, notre propos explore plus avant quelques manifestations contemporaines de cette littératie et des tentatives des publicitaires pour garder une maîtrise fantasmée de la communication. Nous analysons plus particulièrement les questions que posent, en termes de littératie, les interventions des marques sur les réseaux socionumériques, l’incidence des algorithmes à vocation publicitaire et le retour de formes promotionnelles problématiques comme la réclame et le matraquage publicitaire. Enfin, nous posons la question de la place du repérage et de la compréhension par le public des enjeux des dark patterns dans les possibilités d’évolution contemporaine de la littératie numérique publicitaire.

Quelle littératie pour la publicité ?

Littératie défensive contre une publicité manipulatrice

Notre approche de la littératie publicitaire diffère de celle de l’éducation aux médias développée par l’UNESCO et, en France, le CLEMI (Centre pour l'éducation aux médias et à l'information). L'éducation à l'information et aux médias, impactée par les innovations technologiques et les évolutions de format, est en transformation continue et inclut désormais, comme le conseille l’UNESCO, "l'éducation aux réseaux sociaux" et aux "littératies sociales" connexes, scientifiques, politiques, familiales et culturelles dans lesquelles s’inscrit l’éducation à la publicité. Il en résulte une littératie publicitaire "défensive" dont la mission essentielle est de donner à un public, essentiellement composé d'enfants et d'adolescents, les moyens de se défendre contre l'influence, supposée néfaste, de la publicité.

Liée à la "lutte contre la désinformation et la mésinformation", le point de vue de l’UNESCO s'appuie sur une tradition de recherche qui considère que la publicité est un puissant moyen de manipulation psychologique et comportementale au service du capitalisme. Ce type d’analyse critique prête à la communication marchande de puissantes capacités d’action, indispensables au développement de la culture et de la consommation de masse, sur des foules définies comme des rassemblements de récepteurs passifs, inactifs et mécaniquement réactifs à des messages destinés à produire de faux besoins. (Adorno, T., Horkheimer, M. 1997, Habermas, J. 1989, Marcuse, H. 1964, 2006, Galbraith, J.K. 1962). Cette approche théorique justifie la nécessité d'éduquer le public, dès le plus jeune âge, à la reconnaissance et la compréhension des enjeux des messages publicitaires pour combler son déficit présupposé de capacités de reconnaissance et développer ses compétences d’auto-défense.

Vers une autre littératie des médias de masse et de la publicité

A l’inverse de l’approche qui vient d’être vue, les analyses dites "de réception", sans nier les aspects manipulateurs de la publicité, postulent que les récepteurs traitent vraisemblablement la publicité comme les autres productions médiatiques de masse et qu’ils sont capables d’une activité critique commune. Les recherches dites sur "les usages et la gratification" interrogent, à la fin des années 1980, l’activité de décodage des récepteurs des communications de masse (Katz et Liebes, 1990) et soulignent l'absence "d'une théorie adéquate de la nature de la participation des téléspectateurs". La réception est définie non pas comme "une expérience individuelle, mais quelque chose qui se fait -avant, pendant ou après- avec les autres". Les récepteurs produisent un métadiscours, ils font preuve une réception critique des programmes qui ne se limite pas au commentaire des histoires racontées. Ils se révèlent d’autant plus doués pour le décodage que le message est manipulateur, donc "hautement impliquant". 

Si les récepteurs sont capables d’exercer une activité critique spontanée à propos des communications de masse, ils doivent l’être d’autant plus pour des messages aussi ouvertement manipulateurs que ceux de la publicité. De ce fait, le sens des messages publicitaires n’est ni prédéterminé ni fixe, il résulte, d'une sphère culturelle à l’autre, des variations de l’interprétation. La proximité semble forte avec les approches sémiotiques qui posent la polysémie du message suivant le contexte dans lequel il est émis et reçu. Le message publicitaire n'est ni "injecté" au récepteur ni entièrement soumis aux interprétations individuelles ; sa signification résulte d'une négociation permanente des signes, de la culture et de la littératie médiatique étendue à la publicité. C’est une coproduction du sens, ou sémiose, née de la rencontre entre le message et le contexte culturel, social et personnel de chaque récepteur (Eco, 1972). Les professionnels de la publicité rêvent de maîtriser au moins une partie de ce processus de signification et l’on peut voir certaines de leur tentatives d’anticipation dans l'utilisation de formes largement partagées, comme les stéréotypes.

Littératie publicitaire : connaissance et maîtrise des codes

Nous partons désormais du principe que la publicité, consubstantielle aux médias de masse dans sa conception et ses circulations, est, elle aussi, traitée de façon critique par les récepteurs, d’autant que sa visée manipulatrice est généralement franche (Barthes, 1964). Les travaux de Hoggart (1957) nous permettent d’enrichir notre définition de la littératie publicitaire.

Dans les approches des cultural studies (Jensen, K.B., Rosengren, K.E. 1990), les communications de masse sont liées à des pratiques sociales et culturelles qui combinent action individuelle de production de sens et rôle joué dans la vie sociale. La littératie selon Hoggart est différente de la littératie comme " lettrure ", liée à la littérature, la lecture et l'écriture (Goody, 1968) car, dans sa perspective, la culture est, elle-même, un processus de production de sens et non un ensemble d'œuvres de référence. La culture populaire et les productions médiatiques de masse, publicité comprise, se développent via des schémas d'interprétation alternatifs.

La littératie se définit, pour Hoggart, comme la maîtrise socialement valorisante de codes et de compétences acquises par l'expérience plus que par l'éducation. Elle désigne la capacité à reconnaître et identifier les documents et leurs statuts (Jeanneret, 2008, 2014). C’est un ajustement pratique et critique dont découle une capacité évaluative. Jeanneret rappelle qu’en partant des questions culturelles propres à la classe ouvrière, Hoggart propose une analyse des pouvoirs culturels qui ne postule pas le primat des contenus ou des croyances et met en avant l’importance des postures d'adhésion des publics sur lesquelles les acteurs des industries culturelles fondent leurs productions. Le phénomène n’engendre pas la disparition de la culture populaire, il reconnaît la liberté des publics et formule une « sémiotique de la défiance » (Jeanneret), née de l’attention oblique qui instaure, sans pour autant mettre fin à l’adhésion, une distanciation dans laquelle réside la qualité du savoir-faire populaire.

Reprenant et continuant la perspective de Hoggart, Jeanneret (2014) l’applique à la publicité à travers l’analyse du développement, en France, à partir des années 1980, d’une sémiotique publicitaire présupposant une réception active et un regard évaluatif sur la qualité de la production médiatique. Il se dessine ainsi un public de la publicité à la fois porteur d'attentes et accessible à la sollicitation, la provocation, la complicité. Les messages publicitaires de l’époque mettent en scène les adhésions et rejets du public ; ils cherchent à provoquer une réaction et à stimuler l'activité interprétative. L'ajustement pratique et critique vis-à-vis de la publicité est exploité et il nourrit, en retour, la culture médiatique. 

Partant de cette conception ouverte de la "réception", nous concevons la littératie médiatique et publicitaire comme une acquisition progressive de connaissances et de maîtrise des codes, reposant sur une vision critique et distanciée. C’est la capacité des publics à produire et mettre en œuvre, à propos de la publicité, des connaissances, des compétences de lecture, d'interprétation, de critique et de commentaire. 

Il s'agit maintenant d'explorer comment les publics de la publicité, depuis plusieurs siècles en France,  ont développé et mis en œuvre cette littératie.

Formation de la littératie publicitaire

Pour aborder les formes contemporaines numériques de littératie publicitaire, il nous faut retracer ses développements au fil des transformations des formes publicitaires et du développement des discours évaluatifs les concernant. Cette "archéologie" de la littératie publicitaire permettra de comprendre les formats, numériques ou non, de la publicité contemporaine, et la façon dont les publics ont acquis et forgé des capacités d'analyses et de distanciation. En effet, au-delà du développement et de la stabilisation de grands types publicitaires reconnus par les publics, il faut mener un examen des formes des critiques de la publicité.

Littératie par fréquentation des formes traditionnelles de la publicité 

Les médias traditionnels de la publicité ont, au cours d’un temps déjà long, créé et stabilisé des formats qui contraignent les discours publicitaires tout en les rendant reconnaissables. Certains éléments sont attendus ou obligatoires, ce qui transforme certains formats en stéréotypes, au sens de formes fixes qui programment leur lecture et façonnent les messages " selon les impératifs d'un modèle préfabriqué " (Amossy, 1991).

L'affiche est l'un des plus anciens supports publicitaires et elle reste d'importance aujourd'hui en France. Elle se développe au cours de la première moitié du XIXe siècle, avec l'affiche de libraire qui valorise les titres vers un large public (Martin, 2012). Elle est essentiellement textuelle avec quelques variations typographiques. A partir de 1840, la lithographie permet la reproduction à grande échelle d'images en noir et blanc puis en couleur à partir des années 1850. Cette technique d’impression engendre le développement de l'affiche publicitaire illustrée qui devient omniprésente dans le paysage urbain et rural. A Paris, elle gagne une place exceptionnelle et durable à la faveur des travaux haussmannien de transformation urbaine qui lui offrent le support des palissades de chantier, un mobilier urbain dédié, la colonne Morris, et des emplacements sur les quais du métro.

L’affiche fait donc rapidement partie du paysage quotidien et elle offre des spectacles de qualité grâce aux artistes (Lautrec, Mucha, Bonnard) et aux grands illustrateurs publicitaires (Chéret, Loupot, Cassandre, Carlu, Colin, et bien d’autres). Leurs styles reconnaissables, sont connus et appréciés du public. Au-delà de la stabilisation des différentes formes d'affiches publicitaires, une culture publicitaire émerge ainsi et des connaisseurs, bientôt collectionneurs, développent une appréciation esthétique des affiches dont témoigne le mouvement dit "affichomanie", dans les années 1880. C’est le début d’une reconnaissance patrimoniale de l'affiche publicitaire.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'affichage doit s'adapter à l'avènement des banlieues et des voitures particulières. Les emplacements longent les routes principales et les affiches doivent être visibles depuis un véhicule. Dans le même temps et pour la même raison, les dessins se simplifient et la photographie se développe.

Du côté de la presse, Girardin introduit en 1836 la publicité dans les colonnes de son journal et bâtit le modèle économique de la presse. Rapidement, des formats canoniques se mettent en place et des dérives provoquent une régulation. Ainsi, en l’espace d’un siècle, les formats de la publicité de presse ont émergé, se sont transformés puis stabilisés et moralisés.

Par la suite, au cinéma, à la radio comme à la télévision, d’autres formats filmiques, chantés, avec des dictions spécifiques à la publicité, se mettent en place, tout au long du 20ème siècle. Leur reconnaissance est petit à petit facilitée par un encadrement visuel et sonore imposé, des petits génériques dédiés annonçant le début et la fin des messages publicitaires, les fameux « jingle pub » (Berthelot-Guiet, 2015).

Littératie, antipublicité et médias 

En France, la publicité est une activité réglementée qui fait également l’objet d’un jugement social ancien, généralement défavorable et qui n’est pas l’apanage d’une élite intellectuelle parisienne. Dès 1920, les publicitaires soulignent le discrédit populaire dont souffrent leur profession autant que ses productions. Ils relient cette "résistance" de la population à un supposé "esprit français" fait "d'indépendance de caractère et de refus de se laisser imposer des jugements tout faits" (Martin, 2012).

Cet esprit apparaît, dès 1836, dans les cercles intellectuels, politiques et industriels : les uns tiennent des propos méfiants et parfois violents à l’encontre de la publicité, soupçonnée de manipulation, quand les autres sont convaincus qu’un bon produit se suffit à lui-même (Sacriste, 2009). Ces critiques sont portées hors de ce cercle initial, de 1850 jusqu’aux années 1950, par trois groupes professionnels particulièrement hostiles à la publicité, présents sur tout le territoire et très proches des populations : les épiciers et petits commerçants, les colporteurs et représentants de commerce, les médecins de famille et les pharmaciens (Martin, 2012). Les premiers voyaient dans la publicité le bras armé des producteurs et industriels cherchant à les transformer en simples dépositaires de produits de marque, réduisant dans le même temps leurs profits et leur rôle social ; les deuxièmes ne souhaitaient pas devenir de simples relais publicitaires, tandis que les troisièmes, prescripteurs et fabricants de spécialités pharmaceutiques, redoutaient la mise en danger de leurs patients par des produits douteux, voire dangereux.

Dans les années 1950, la relève de l’antipublicité est assurée par les associations de défense des consommateurs qui dénoncent une publicité mensongère, manipulatrice et de créatrice de faux besoins. De plus, elle entrave la libre concurrence et préempte l'information du consommateur. Ces associations attaquent la publicité en justice et développent "un système de jugement permettant aux militants de faire le tri entre les messages publicitaires dans l'intérêt du consommateur". Elles diffusent ces décryptages à charge dans leurs magazines (Parasie, 2010).

Après une courte pause, durant laquelle la publicité devient un spectacle de masse relativement apprécié (1985-1995), la France renoue avec cette tradition antipublicitaire dans la foulée d’un mouvement international critiquant à la fois les marques et la publicité. Celle-ci est accusée d'envahir les espaces public et privé, de s'étendre à des domaines qui devraient en être protégés (politique, humanitaire), de manipuler les esprits et de créer de faux besoins. Elle est comparée à une drogue, une pollution, un déchet (Berthelot-Guiet, 2015).

Parallèlement, depuis le début du 21ème siècle, la critique de la publicité et des marques dans les médias d’information français est en progression constante depuis le large écho donné à des ouvrages tels que le roman français 99 francs de l’ex-publicitaire Frédéric Beigbeder ou l'essai No logo : La tyrannie des marques de la journaliste canadienne Naomi Klein. Ces parutions connaissent en général un large relais médiatique tout comme, en 2009, le film d’animation français Logorama qui reçoit également plusieurs distinctions (Cannes, Oscar, César). Au-delà de la reconnaissance et du succès, cette couverture journalistique permet aux médias de développer un discours critique envers les marques sur lesquelles repose leur modèle économique. C’est sans doute pourquoi la présence de discours critiques envers la consommation et la publicité fait désormais partie du quotidien médiatique, en ligne comme hors-ligne. L'industrie de la publicité, partie prenante du système, en prend acte et cherche alors à proposer une redéfinition, parfois hâtive, des contours de la publicité classique désormais présentée comme un mode de communication problématique.

Vers une littératie numérique publicitaire

Littératie numérique : 25 ans de fréquentation des formats publicitaires sur le web 

La publicité sur le web existe depuis 25 ans ; il est donc opportun, pour penser une littératie numérique publicitaire, de revenir sur les formes et formats qui sont apparus et ont évolué (Berthelot-Guiet, 2015, 2020). Les débuts « officiels » de la publicité sur Internet remontent à 1994, date de la diffusion de la première bannière sur un site américain. Ce type de publicité, présent dès 1995 sur le site Yahoo, est intégré dans une page web afin de produire du trafic vers le site de l'annonceur ; c’est un relais de croissance pour les agences de communication. En 1996, la première bannière publicitaire est lancée en France et, en 1998, alors que Hewlett Packard propose la première publicité interactive, des systèmes de suivi sont proposés. En 2000, arrivent les formats "pop-up", "flash" et "rich media" ainsi que la première publicité sur téléphone portable.

Dès 1996, l'Interactive Advertising Bureau, créé aux États-Unis, propose une définition et une normalisation des formats au fil de leur apparition. Le travail est d’envergure tant les formats évoluent rapidement par de nouveaux systèmes informatiques. Dès 2000, grâce à un accord avec Yahoo, Google devient le leader de la publicité en ligne. En 2008, alors que les bannières et les liens sponsorisés sont les formats les plus courants, de nouveaux formats continuent d’apparaître : blogs, jeux en ligne, sites comme Second Life, sites communautaires.

Durant cette première période de 15 ans, une littératie numérique publicitaire se met en place malgré ou à cause des lancements continus de différents formats. Elle est reconnue et traitée par les professionnels sous le nom de "cécité aux bannières" (Benway, Lane, 1998) qui désigne le fait que les internautes parviennent à éviter de voir des publicités en ligne pourtant massives. Dans le même temps, émerge la possibilité de bloquer, grâce à des logiciels souvent gratuits, la publicité numérique. La "pub en ligne" est connue et reconnue, une littératie accompagnée d’un jugement négatif s’est instaurée : les publicités sont jugées trop nombreuses, gênantes et intrusives. 

Tout en continuant de faire évoluer les formats en ligne, notamment pour déjouer les logiciels de blocage, les publicitaires cherchent les moyens de contourner cette littératie critique. C'est en partie pourquoi, à partir de 2006 en France, ils s’engagent dans une démarche, déjà en cours aux USA, qui cherche d'autres moyens de faire de la publicité et de promouvoir les marques en ligne. Arguant de l’émergence d’un nouveau "paradigme de communication", lié à ce qui est qualifié de "web 2.0", ils mettent en avant et promeuvent les notions de "conversation" avec les marques et de "brand content" comme alternatives supposément non publicitaires (Berthelot-Guiet, 2015). Sous l'impulsion de quelques consultants américains auteurs d’un texte intitulé Clue Train Manifesto, aujourd'hui donné comme point de départ de cette évolution, le monde de la communication marketing et commerciale connaît alors une conversion massive aux supposés vertus de la "conversation" (Marti, Berthelot-Guiet, 2019). Celle-ci est définie comme une panacée communicationnelle qui se pare de toutes les qualités que la publicité n'a pas : ce serait une communication pacifiée, égalitaire, qui mettrait marques et consommateurs sur le même plan. Sous l'action conjuguée des agences, les marques, après quelques blogs et autres "espaces conversationnels", ouvrent des comptes Facebook, Twitter et autres, sans toujours avoir quelque chose à dire. Dans les discours professionnels, le terme publicité est délaissé au profit de "contenu", "participation" et "co-production".

L’analyse, a posteriori, des discours professionnels et des formes de communication de marque produits depuis le milieu des années 2000 met en évidence à quel point est revendiquée la nécessité de trouver de nouvelles voies et formes pour les discours des marques, notamment en raison de la littératie publicitaire (Berthelot-Guiet, K., Marti de Montety, C., Patrin-Leclère, V., 2014). Les affinités avec les technologies de l'information et de la communication de publics d’une amplitude générationnelle de plus en plus large et l’utilisation des réseaux socionumériques conduisent les professionnels de la publicité à conclure, assez radicalement, que la publicité classique, bien que difficile à abandonner, doit parfois être évitée ou, a minima, cohabiter avec d’autres formes d’expression en ligne.

C’est ce phénomène que nous avons, avec Valérie Patrin-Leclère et Caroline Marti, envisagé par les catégories non figées de dépublicitarisation et d’hyperpublicitarisation. La dépublicitarisation fait référence à un ensemble de tactiques de communication visant à se démarquer des aspects les plus reconnaissables et classiques publicité en recourant à des formes être plus discrètes, du point de vue des professionnels, et donc susceptibles, en théorie, de déjouer la littératie publicitaire classique comme numérique déjà en place.

De plus, ces propositions de communication sont accompagnées de discours d’escorte dans lesquels les professionnels affirment proposer autre chose que de la publicité. Cependant, l’analyse sémio-communicationnelle de ces productions montrent à quel point elles restent éminemment publicitaires, voire hyperpublicitaires. L’hyperpublicitarité se caractérise par une hypertrophie des traits publicitaires reposant sur une recherche de maximisation de la présence publicitaire par une densification sémiotique des messages et un travail créatif et/ou esthétique. Une production dépublicitarisée a tendance, paradoxalement, à donner une place accrue à certains attributs des marque ce qui aboutit à un effet hyperpublicitaire. Ainsi, les prises de paroles des marques sur les réseaux sociaux démultiplient l’utilisation du logotype qui apparaît à chaque nouvelle participation.

Les productions communicationnelles analysées en termes de dépublicitarisation et d'hyperpublicitarisation reposent ainsi sur des figures présupposant, dans les choix qui ont présidé à leur production, une littératie publicitaire. 

Flou dans la littératie numérique publicitaire ?

Les messages publicitaires et les formes dépublicitarisées tendent à démultiplier la présence des messages des marques dans la vie quotidienne, en ligne et hors ligne. Il est primordial pour penser une littératie numérique publicitaire de comprendre comment, dans ce contexte, elle peut continuer à se constituer et à être mise en œuvre. Ces variations et brouillages rencontrent les compétences développées par les publics pour repérer, voire écarter, la publicité au sens très large du terme. Ce cas montre à quel point la définition de la publicité varie entre la perception générale du grand public et celle, très délimitée, des professionnels. En effet, ce qui, pour ces derniers, se définit comme une communication promotionnelle et médiatique de masse (presse, TV, radio, affichage, Internet, cinéma) trouve une extension tout autre pour le reste de la population qui, dans la vie quotidienne requalifie globalement de "publicité" toutes les occurrences et discours liés aux marques. Dans ce cas, tout peut être publicité et elle peut tout envahir, y compris l’espace du Web. 

Fragments d'une littératie numérique publicitaire

Les nouveaux formats, malgré leur inventivité, leur renouvellement rapide et leurs lancements en cascade ne parviennent pas à troubler longtemps la perception des récepteurs, par le jeu d’une littératie spontanée, mais également rodée et outillée par différents acteurs médiatiques. Des traces et des preuves de cette littératie en évolution peuvent être collectées et analysées, pour des manifestations publicitaires aussi différentes que les comptes des marques sur les réseaux socio-numériques, la résurgence de la "réclame" sous le nom de "native advertising"le matraquage induit par les algorithmes publicitaires qui réactivent ainsi le spectre de la manipulation, idée que viennent renforcer les dark patterns, systèmes issus du design d’interface destinés à inciter fortement ou à obliger certaines actions, dont certaines sont à usage publicitaire, pour continuer la navigation. Nous proposons ici une exploration de ces éléments, sans prétendre à l’exhaustivité, tant les formes émergentes de publicité accroissent le champ d’action de la littératie numérique publicitaire.

Manifestations d’une littératie numérique publicitaire : déjouer le flou sur les réseaux sociaux

Une analyse sémiocommunicationnelle des comptes Facebook d'une marque française et d'une marque américaine (Oasis et M&M’s), nous a permis de montrer que leurs participants et abonnés sont, pour nombre d’entre eux, pleinement conscients du caractère publicitaire des messages mis en ligne par ces marques et du statut de professionnels de la communication de ceux qui participent, au nom de la marque, à ces échanges et les produisent.

Il en résulte, que les pages Facebook de M&M's et OasisBeFruit (Berthelot-Guiet, 2015, Marti, Berthelot-Guiet 2019) sont bien perçues comme les productions publicitaires qu’elles sont. Les marques y sont omniprésentes et les contenus discursifs très fortement liés à leurs discours publicitaires dans les médias traditionnels. Les messages mis en ligne sont, de fait, autant de déclinaisons de leur "offre" ou spectacle publicitaire, et ceux qui, parmi les inscrits, réagissent ou commentent, manifestent par écrit leur appréciation du "show" souvent par de simples interjections, la mise en écrit de la joie du spectacle et du rire et des émojis représentant applaudissements et rires. Quand les participants écrivent aux "auteurs" de ces messages, et non à la marque, ils les désignent bien par leur profession (les publicitaires).

La nature publicitaire de ces communications est pleinement reconnue. La littératie à l’œuvre montre que des participants peuvent suffisamment apprécier une marque et sa publicité pour choisir de s’inscrire sur un réseau socionumérique et recevoir, de leur plein gré, plusieurs fois par semaine, les contenus publicitaires choisis. Ils sont consommateurs volontaires de discours publicitaire. 

Cette consommation des signes de la marque s'accompagne souvent d'une évaluation, par ce même public, de la qualité publicitaire des messages produits. Cela témoigne de capacités de jugement esthétique, narratif, voire stratégique quant à ce qui peut être considéré comme une bonne publicité pour une marque spécifique (Berthelot-Guiet, 2020). Le spectacle publicitaire s'accompagne donc d'une critique amateure qui s'enracine dans une culture publicitaire. Ainsi, les audiences interagissent avec les marques sur les réseaux sociaux de manière informée et consentie. Cette littératie est cependant à double tranchant car le grand public a vite compris que la présence des marques sur les réseaux sociaux permet d'exprimer facilement à leur encontre, auprès d'une large audience, des critiques ou des plaintes. C’est pourquoi, pour certaines marques, les réseaux sociaux sont devenus le lieu d'un nouveau type de communication de crise "permanente".

Un autre phénomène démontre la capacité des publics à tenir à distance le "flou" des productions supposées "dépublicitarisées" que sont les films de marque. En effet, les productions publicitaires, assumées ou non, se basent sur le calcul d’un retour sur investissement a minima symbolique : comment alors assurer une audience élargie aux productions "non publicitaires" des marques ? Il est probable que, de prime abord, seules les personnes déjà intéressées par une marque trouvent ces courts-métrages sur les réseaux sociaux car elles sont déjà abonnées. La probabilité que les autres internautes tombent sur ces productions "par hasard" ou même "par algorithmes" est plus faible. Paradoxalement, c'est alors la bonne vieille publicité (presse, affichage, télévision) dans les médias traditionnels qui est choisie pour sa capacité à faire connaître, à rendre public, à promouvoir. Nous qualifions cet usage de la publicité pour promouvoir les formes dépublicitarisées de "retour du refoulé" (Berthelot-Guiet, 2021). Les productions publicitaires classiques sont alors dédiées à l’orientation du public vers l’offre dépublicitarisée en ligne et non vers les produits ou services des marques ; ce message prend, la plupart du temps, la forme publicitaire d'une affiche de film, consacrant ainsi la forme spectaculaire. Les marques étayent elles-mêmes une littératie.

Manifestations d’une littératie numérique publicitaire : le « native advertising » ou le retour de la réclame

Une autre forme de publicité, baptisée par les publicitaires "native advertising" (Berthelot-Guiet, 2021) (Bullich, 2021) et particulièrement répandue sur le web, pose des questions éthiques dans la mesure où elle cherche à tromper l'internaute sur la nature du message. Cette insertion publicitaire est fondue dans le contenu éditorial, elle est spécialement conçue pour tromper, en ressemblant au reste du site web et en s'adaptant au ton autant qu’aux formes. La volonté de produire un message publicitaire qui se fond dans l'environnement journalistique au point de tromper sur sa nature n'est pas nouvelle. Avec le native advertising, la "réclame", forme ancienne et très controversée de publicité cachée, réapparaît sous de nouveaux atours mais son principe de fonctionnement reste le même : le contexte profite à l’introduction de contenu publicitaire.

En France, la "réclame" était très courante dans les journaux à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Il s’agissait de petits textes ou brèves qui paraissaient dans les rubriques mondaines et financières des journaux. Ils étaient plus chers à l’achat que les publicités classiques présentes en dernière page, dans la mesure où ils étaient censés bénéficier de la confiance que les lecteurs donnaient à la publication. Ce qui était sans grande conséquence, autre que morale, pour un couturier, un restaurant ou des objets de décoration, pouvaient avoir de graves répercussions dans les domaines de la santé et de l’épargne. Ainsi, un certain nombre de malversations financières suivies de la ruine de petits et grands épargnants[1] ont dévoilé et mis au ban ces pratiques malhonnêtes.

Conscients du problème, les dirigeants des entreprises de presse et les membres de la profession émergente des publicitaires souhaitèrent, dans les années 1920, une moralisation de l'activité (Martin 2012, Berthelot-Guiet 2015). L'association française d'autorégulation de la publicité mena ainsi la campagne "vérité dans la publicité" destinée à débarrasser la publicité française des réclames qui lui donnaient une très mauvaise image tant auprès des annonceurs que du public. L’action conjuguée des professionnels et de la législation instaura, pour ce qui est aujourd’hui encore nommé « publirédactionnel » une obligation de mention explicite et parfois une forme visuelle et typographique dédiée. 

Bien que ce type de procédé soit interdit en France et dans l’Union Européenne, la ligne reste mince dès lors qu’il s’agit de publications concernant la mode, la culture ou le tourisme, car le simple fait de présenter une marque, un film ou une destination constitue une forme d’action publicitaire. En ligne, la mention explicite de la nature du discours s’impose également, notamment sur les réseaux sociaux. Cependant, l'émergence constante de nouvelles formes de communication numérique rend régulièrement la publicité difficile à identifier et le flou peut s’installer. Comme le souligne en 2012 l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), des difficultés accrues apparaissent en ce qui concerne l'identification précoce du discours publicitaire car les formes contemporaines de communication numérique des marques soulèvent trois types de questions en termes d'éthique publicitaire : "La question de l'identification de l'émetteur, la nature de l'information émise, son statut (information, publicité, communication, expression spontanée)"[2]. La profession est donc consciente que de nombreuses productions publicitaires numériques peuvent être "susceptibles de semer le doute dans l'esprit des consommateurs".

Cependant, ce type de publicité, malgré ses évolutions constantes, est rapidement détectée par les internautes et ajouté à la littératie publicitaire par le moyen même de son développement car les réseaux sociaux et les plateformes relaient également les discours de dénonciation. Les publics ne sont donc crédules que peu de temps. Il n’en reste pas moins que ces productions réactivent l’idée d’une publicité mensongère et trompeuse. 

Manifestations d’une littératie numérique publicitaire : algorithmes et matraquage publicitaire

Parallèlement, les premiers types de publicité sur le Web ont également évolué, non pas tant dans les formes que par les moyens utilisés pour mettre les bonnes annonces devant les bonnes personnes. Ainsi, la publicité en ligne, pour laquelle les annonceurs paient un "espace média", a connu une forte évolution avec les algorithmes (Berthelot-Guiet, 2021). En effet, à la simple publicité sur les sites web ou les écrans et à la chasse aux mots-clés s'est ajouté l'achat d'espaces publicitaires automatisés, ou programmatiques, gérés par des algorithmes qui calculent "en temps réel" quelle publicité conviendrait le mieux à l'internaute en fonction de son parcours sur le web. Cette intrusion des machines et des calculs dans l'équation publicitaire a permis aux entreprises et à leurs agences de communication d'entrevoir le Graal : comprendre ce qui se passe dans la tête du consommateur et ne lui proposer que ce qui est susceptible de lui plaire et de le faire acheter. L'idée secrète de la manipulation réapparaît à l'horizon.

Les algorithmes s'ajoutent donc au système publicitaire en tant que nouveaux venus numériques, auréolés, du côté des professionnels, d’une aura mêlant possibilités réelles et imaginaires allant de l’adaptation totale à la surveillance en passant par l'objectivité. De fait, de nombreux systèmes informatiques et algorithmes ont été développés, affinés et expressément conçus pour faciliter l'identification des "consommateurs" lors de leur navigation et permettre, hypothétiquement, la production et la diffusion de messages publicitaires sur mesure. Notre exploration de la cohabitation de différentes formes publicitaires liées aux algorithmes met en évidence des formes de communication plus proches du matraquage et de la course à la promotion que d'un raffinement du message publicitaire. Elles font, de ce fait, l’objet d’une littératie publicitaire numérique active et négative.

Les algorithmes ont, en effet, tendance à mettre encore et encore les publics face aux mêmes publicités ou aux mêmes types de produits. Ils réintroduisent ainsi une répétition et une monotonie potentiellement contre-productives dont les spectateurs s’étaient affranchis grâce aux activités domestiques pendant les encarts publicitaires et aux télécommandes des téléviseurs. De fait, actuellement, plus on passe du temps en ligne, plus la sensation de matraquage publicitaire apparaît et s'impose, que l'on soit sur Google, Safari, les sites d'influenceurs, les sites de vente, les forums de santé, les sites médias, les applis, Facebook, Instagram, TikTok, Pinterest, etc. La publicité, ramenée à la promotion et à un pur adjuvant de la vente, est réduite, d’un point de vue stratégique et créatif, à sa plus simple expression ; elle sert essentiellement à rediriger vers des plateformes commerciales. On revient à l'idée que la répétition est la clé de l'influence. Il en découle, la plupart du temps, un inconfort important lors de la navigation, auquel s'ajoute l'idée d'être privé de toute forme de libre arbitre au profit de messages qui sont de l'ordre de la promotion pure. 

Le matraquage publicitaire est évident. Toute navigation sur le web sans logiciel adblocker nous plonge dans un monde à la fois familier, car les publicités que nous voyons sont liées à nos centres d'intérêt, et extrêmement monotone car la plupart des algorithmes construisent un univers basé sur l'idée de "similitude", privilégiant le "même" et ne permettent que rarement la surprise et la découverte, même quand des formes de sérendipité sont proposées. Le sentiment de surveillance et de harcèlement n'est pas loin car ces publicités sont dérangeantes et/ou intrusives tout en offrant un contenu pauvre : le nom de la marque, un visuel minimaliste, une incitation forte à saisir la promotion, à "en savoir plus" ou, tout simplement à "acheter". Ces publicités souvent dépourvues de créativité et nous ramènent au sentiment d'être une machine à cliquer. Le stimulus-réponse n’est jamais loin.

La sensation de matraquage peut également être due au visionnage imposé et répétitif d'une même publicité en un temps limité. Les plateformes et systèmes de replay tels que Youtube génèrent ce type d’effet. Les internautes qui consomment (binge watch) des vidéos les unes après les autres, doivent visionner les mêmes publicités, épisode après épisode. Aucune publicité, même réussie et créative, ne peut survivre à ce type de traitement sans déclencher un agacement intense lors de tout visionnage ultérieur.

Manifestations d’une littératie numérique publicitaire : déjouer la manipulation par les dark patterns

Nous avons vu comment la presse et les médias en général participent à la construction d’une littératie publicitaire des formes hors ligne. Nous allons maintenant analyser, dans cette perspective, le traitement médiatique, par la presse française, de la question des dark patterns (Berthelot-Guiet, 2022). L’expression, souvent peu connue, désigne "des éléments et mécanismes mis en place dans les interfaces pour influencer les décisions des utilisateurs dans un sens qu’ils ne choisiraient pas nécessairement au moment de la collecte des données personnelles […] ces designs trompeurs (dark patterns), visant à influencer le consentement, dérouter l’individu, créer des frictions d’usage ou encore à pousser l’individu à partager plus de données que nécessaire" (CNIL (LINC), 2019).

La méconnaissance de ces techniques rend d’autant plus important le rôle de la presse d’information dans laquelle es dark patterns apparaissent entre 2016 et 2018, au moment où d'anciens employés des GAFAM commencent à dénoncer ces pratiques, destinées à générer une "économie de l'attention". La grande majorité des articles parus (base de données Europresse) rappelle que la notion, sa première description, sa définition et sa typologie ont été proposées en 2010 par Harry Brignull[3], spécialiste du design d'interface numérique et souligne la valence négative qui leur est attachée.

Entre 2015 et 2022, seulement 27 articles sur les dark patterns ont été publiés dans la presse nationale française : 9 dans des publications professionnelles, 18 dans des publications grand public. Des journaux de référence comme Le MondeLe Figaro et La Croix ont abordé la question à plusieurs reprises. L'analyse de leurs titres et sous-titres indique immédiatement un jugement critique négatif et une volonté de dénoncer. Le vocabulaire est explicite : tromper, manipuler, abuser, piéger, enfer, côté obscur, ruser, gâcher, etc. sont les termes pour les décrire et inciter le public à la méfiance. Les dark patterns sont présentés comme "des éléments trompeurs qui sont intentionnellement conçus pour inciter les utilisateurs à faire des actions qu'ils ne feraient pas autrement. Ces modèles sont conçus pour bénéficier à certaines parties prenantes, et non à l'utilisateur" (Ducato, 2018).

Répandus dans tous les espaces du web et prenant des formes multiples, parfois difficiles à détecter même pour des spécialistes, les dark patterns sont une sorte de défi pour la protection des consommateurs et l’exercice de leur capacité à développer une littératie numérique publicitaire. Ces articles dénoncent abus et tromperie puis évoluent, dans la plupart de cas, vers la production de listes peu lisibles qui présentent certaines des différentes formes possibles. Il semble difficile de donner aux lecteurs les moyens de les reconnaître. La volonté de permettre au grand public de se prémunir contre les dark patterns ou de les utiliser consciemment est donc difficile à mettre en œuvre. Une étude internationale sur le traitement médiatique en ligne des dark patterns donne des résultats similaires (Cara, 2019) et conclut que les "dark patterns peuvent être décrits selon trois critères : le but stratégique, la popularité auprès des médias et le degré de nocivité".

Les questions éthiques liées aux dark patterns sont d’autant plus importantes qu'ils sont présents presque partout sur le web. Une règlementation existe en Europe : le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD). Sur son site, l'Union Européenne présente le RGPD, entré en vigueur en 2018 et plus précisément obligatoire pour les applications mobiles et les sites web depuis le 31 mars 2021, comme la " loi la plus dure au monde en matière de vie privée et de sécurité ". En France, le RGPD s'inscrit dans la continuité de la loi informatique et libertés (1978) et renforce les droits des personnes, responsabilise les acteurs traitant les données, et crédibilise la réglementation grâce à une coopération renforcée entre les autorités de protection des données définies comme  "toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable", qu'il s'agisse d'une identification directe (nom, prénom, etc.) ou indirecte (identifiant, numéro, etc.). En vertu du RGPD, les cookies ou traceurs qui ne sont pas strictement nécessaires au fonctionnement d'un site web doivent fait l’objet d’une information permettant un consentement préalable éclairé et explicite des utilisateurs exprimé par une action positive claire, comme cliquer, par exemple, sur "J'accepte". Dans le cas contraire, aucun traceur non indispensable au fonctionnement du service ne doit être déposé sur l'appareil de l'utilisateur.

Cependant, entre la règle et sa mise en œuvre, des dark patterns sont utilisés dans le but de pousser ou contraindre les internautes à autoriser les cookies. Loin de se réduire à la protection des données personnelles la question des dark patterns doit également être envisagée sous l’angle de la littératie publicitaire car une grande partie des traceurs est à finalité marketing et publicitaire ; ils fournissent des données aux algorithmes déjà évoqués.

Quand les dark patterns entrent en jeu, la première distorsion apparaît dès l'arrivée sur un site : l'accord et le refus ne sont pas toujours mis sur le même plan. La possibilité de refus est reléguée au profit de la demande de renseignements complémentaires ; il faut la chercher, donc savoir qu'elle existe et avoir de la persévérance. Le visiteur peut, par défaut, se rabattre vers la demande de renseignements complémentaires et il entre alors dans un système dont la présentation est souvent des plus confuses, on y trouve des listes presque interminables et d’une lecture fastidieuse. Sans coercition apparente, la liste fait le travail de sape et ramène le visiteur du site à un comportement propice, c'est-à-dire celui qui consiste à choisir le bouton "tout accepter".

Revenons sur les voies par lesquelles les applications et les plateformes parviennent à obliger certains internautes récalcitrants à choisir le signe passeur "tout accepter". Sur ce point les plateformes médiatiques ramènent spécifiquement et brutalement l'utilisateur à une réalité qu'il souhaite parfois ne pas voir : le web n'est pas gratuit. Bien que la mythologie de la gratuité d’internet soit bien ancrée et que l'accès à de nombreux sites semble gratuit, c'est pourtant bien la présence de la publicité sous diverses formes, des plus classiques aux dark patterns, qui les financeLes médias "non numériques" sont dans la même situation, formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe de télévision français TF1 : "Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible". Dans le cadre du RGPD, refuser de donner du "temps de cerveau" disponible nécessite d'accepter de payer le contenu médiatique que l'on souhaite consulter. Les médias en ligne rappellent ainsi directement aux internautes que leur refus des traceurs les prive des subsides du financement publicitaire. Si l’internaute fait, sur la première interface, le choix de refuser les traceurs, il aboutit alors sur une autre page qui lui propose un paiement à l’article ou un abonnement. Un refus le conduit ensuite vers un autre écran permettant alors d’accepter les cookies, ce qui a minima retarde la consultation. Dans certains cas, l’écran proposé n’est pas un simple retour en arrière et les dark patterns sont au bout du chemin pour "punir" l'internaute récalcitrant en ne lui laissant plus que deux choix : "payer" ou "tout accepter" ; l'accès à "en savoir plus", qui permet de choisir les traceurs que l’on accepte n’est plus disponible. Paradoxalement, comme c'est souvent le cas dans le domaine de la publicité, la profession contourne la contrainte et parvient à réintroduire les dark patterns dans le système même qui devrait en protéger les internautes.

Conclusion : premières approches de la littératie numérique publicitaire

Nous avons recueilli, décrit et analysé les manifestations de la littératie publicitaire depuis le XIXe siècle français, des premières formes de publicité jusqu’aux nombreuses propositions en ligne. Nous pouvons ainsi esquisser les contours d’une littératie numérique publicitaire. 

Ainsi, les publics interagissent avec les marques sur les réseaux socionumérique, de manière informée - ils savent qu'ils sont en contact avec des personnes travaillant dans les services de communication - et consentie, puisqu'ils doivent s'inscrire. Ils choisissent donc de recevoir régulièrement des contenus publicitaires gratuits et consomment les signes de la marque. Ce spectacle publicitaire est apprécié. 

En supposant que la littératie publicitaire s'acquiert par une expérience cumulée avec les communications publicitaires des marques, on peut penser que plus une personne apprécie une marque, plus elle est familière avec ses messages et plus elle développe une connaissance qui lui permet de mieux décoder "les stratégies de la marque sur les médias sociaux". Il n'est pas toujours facile pour les représentants des marques de savoir comment interagir dans ces nouvelles situations où la culture numérique et la culture publicitaire se rencontrent pour créer des interlocuteurs aiguisés dans leurs actions. On peut même supposer que les échanges proposés par les marques sur les réseaux sociaux sont biaisés, dès le départ, par une suspicion de manipulation (Andriuzzi et Michel, 2019) qui conduit certaines personnes à rester en retrait, observant les échanges entre les participants et les community managers des marques. Dans la même perspective, la bienveillance ou la gentillesse des messages écrits par les employés de la marque peut rendre méfiants les spectateurs car "les consommateurs peuvent penser que la marque essaie de les manipuler en utilisant la flatterie."

L’impact significatif du numérique sur la publicité réside dans les algorithmes qui, dans une perspective publicitaire, tentent de calculer et de sélectionner l'offre ou la publicité la plus appropriée. Trindade (2019) interroge les algorithmes en tant qu'instances médiatiques de la vie quotidienne, produisant un récit de consommation suggéré qui crée une écriture publicitaire socioculturelle. On peut même imaginer que les algorithmes s'accompagnent d'IA pour régir la consommation : les premiers "calculent toutes les possibilités de consommation" quand les derniers pourraient "définir le modèle de consommation de l'humanité." La résistance réside dans les sentiments persistants liés à l'expérience de la marque : "l'algorithme peut reconnaître, décrire, indiquer, induire, mais il ne peut pas expérimenter ou ressentir" et, en définitive, "les algorithmes publicitaires sont constitutifs des réalités de consommation tout en étant cofabriqués par les réalités insérées."

Dans une autre perspective, l'analyse des liens entre algorithmes et publicité permet de questionner, rétrospectivement, les différentes formes de publicité numérique produites au cours des vingt dernières années. Eugeni (2019) propose une première période qu’il nomme "Network Capitalism", des années 1990 aux années 2000, où le web était un nouvel espace, un nouveau média pour la publicité, avec la valeur ajoutée des réseaux. Puis s’instaure, entre les années 2000 et 2010, le "capitalisme des plateformes/données" ou "capitalisme des traceurs" avec l'essor d'une sociabilité par les plateformes et les contenus de marque. Il s’accompagne de la découverte par les entreprises de "l'utilité des traces laissées par les utilisateurs dans leur navigation sur le web comme preuve de leurs habitudes, goûts, préférences." Les données ne sont pas seulement volumineuses, ce sont des capteurs fondés sur la variété, la vélocité, la véracité et la valeur. La dernière période, celle du "capitalisme algorithmique", commence au début des années 2010 ; elle permet la personnalisation de la publicité et le déploiement de dispositifs et assistants personnels numériques faits pour être "parfaitement intégrés dans le réseau des pratiques quotidiennes" et de la consommation.

Enfin, la culture numérique publicitaire apparaît profondément ancrée dans la culture, la culture numérique, la culture populaire, mais aussi dans la culture publicitaire parfois considérée comme un discours global (Hellin, 2019). L'Internet donne un accès et une visibilité sans précédent aux formes culturelles qui concernent la publicité (Berthelot-Guiet, 2019). Ces manifestations sont encore largement à repérer, collecter et analyser qu’il s’agisse de l’échange de fichiers Powerpoint nostalgiques montrant des publicités du XIXème siècle qui ne peuvent être qu’une réminiscence d'un temps que ceux qui les envoient n'ont pas connu ou qu’elles prennent la forme de commentaires critiques de publicités, de discussions en ligne sur la musique ou les films publicitaires. Tout un monde de pratiques reste à analyser afin de comprendre pleinement comment se développe et évolue la littératie numérique publicitaire.

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Notes

[1] Voir sur ce point le roman d’Emile Zola L’argent paru en 1891

[2]  La lettre d'information de l'autodiscipline publicitaire, n° 4, janvier 2012

 

 
 

 

 


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